Le 1er octobre, lors de la sixième élection générale tenue dans la république dont Jacques Parizeau et Lucien Bouchard ont jeté les fondations en 1996, j’irai voter pour Jean-François Lisée à la présidence, puisqu’il est le seul, parmi les chefs des principaux partis en lice, à avoir une réelle stature d’homme d’État. Sur la seconde section de mon bulletin de vote, pour choisir le représentant de mon comté à l’Assemblée nationale, je cocherai la case de la candidate de Québec solidaire, puisque c’est le seul des quatre principaux partis à promettre de faire du réchauffement climatique sa priorité des priorités, le seul qui semble prêt à proclamer, en ce chaud et humide début d’automne 2018, une situation d’urgence nationale.
C’est, du moins, ce que je ferais si le Québec avait dit oui à la souveraineté en octobre 1995. Et tant qu’à rêver, rêvons : les libéraux seront écrasés comme en 1976, la CAQ échouera à remporter une majorité de voix et de députés, et maintenant que l’héritage colonial du parlementarisme anglais aura enfin été liquidé et remplacé par un véritable régime démocratique, les 45 élus d’un PQ miraculé n’auront plus qu’à s’allier aux 20 solidaires catapultés à Québec par le scrutin proportionnel pour former une majorité de gauche qui aura la confiance du parlement.
Toujours une province
Oui, oui, je sais… Le référendum a été perdu, ou volé, peu importe. Le Québec est toujours une province, dont le provincial premier ministre peut se féliciter publiquement d’une appartenance fédérale qui consacre la réduction de ses pouvoirs : « Aujourd’hui, le gouvernement fédéral ne donnerait pas cette entente-là au Québec », a-t-il dit de l’accord sur l’immigration conclu en 1991 avec Ottawa. Nous régressons collectivement et ça fait l’affaire de notre plus haut dirigeant ? Couillard ou le cocu content.
Et si le Québec avait dit oui (Fides, 2018) ? C’est la question que le géographe, romancier et ex-chroniqueur de tourisme au Devoir, Normand Cazelais, s’est posée pour nous, obligé d’emprunter, pour y répondre, le détour consolateur de la fiction. Son uchronie commence le 30 octobre 1995. Dans le cadre du référendum sur la « souveraineté-partenariat » organisé par une coalition formée du PQ, du Bloc de la belle époque et de l’ADQ de Mario Dumont, l’option du Oui a coiffé le Non par un poil — Cazelais n’a pas voulu mettre de chiffres sur le fil du rasoir ; de toute manière, la Loi sur la clarté n’existe alors que dans le cerveau d’un nerd appelé Stéphane Dion.
Donc le Grand Soir est arrivé, et comme tout est tellement plus facile quand ça va bien, Parizeau livre un discours à la hauteur de l’Histoire. Ensuite, les événements s’enchaînent assez rondement : reconnaissance du nouvel État par la France, réaction résignée du Rest of Canada, où va rapidement s’imposer un réalisme économique favorable à une participation du ROC aux négociations menées par leur épouvantail préféré, le bon vieux Lulu ! Et comme si ce n’était pas déjà trop beau pour être vrai, le tout va culminer avec la démission du pittoresque Cheuf de cette confédération en débâcle, Ti-Jean Chrétien, pea soup de service dont finit par se débarrasser le Canada anglais, suivie, un an plus tard, de celle du président-fondateur de la République du Québec, Monsieur Jacques Parizeau qui, sa mission accomplie, tire sa révérence.
Lunettes roses
Sur le fond, le reproche qu’on pourrait faire à Cazelais tient à l’épaisseur des lunettes roses qu’il a, de son propre aveu, chaussées pour accoucher de cet exercice de fiction historique alternative. « … j’ai présumé », écrit-il dans une note d’auteur portant le titre un peu pompeux de Colophon, « […] que le reste du Canada, y compris le premier ministre Jean Chrétien, aurait accepté — quoique difficilement — le résultat du référendum, même avec une marge aussi faible […]. Il n’aurait pas envoyé l’armée ni eu recours à des agitateurs comme cela a été le cas aux premières heures du Front de libération du Québec (FLQ). »
Écarter une réédition de la Crise d’Octobre est une chose. Cazelais, collant à une certaine actualité, s’est contenté d’imaginer un attentat commis par un forcené anglo, tandis que des groupuscules identitaires d’extrême droite s’agitent de l’autre bord. Mais après le Non écossais, les séparatistes anglais qui s’enlisent dans leur Brexit et, dans une Espagne supposément démocratique, les leaders d’un mouvement national capable de faire descendre un million de personnes dans la rue jetés en prison comme des malpropres, l’optimisme plutôt béat qui préside à la partition du Canada de Cazelais pourrait nous sembler un peu court.
Dans son uchronie, le Québec devenu souverain signe dès 1997, avec cinq ans d’avance, sa « Paix des Braves » avec les Cris. Dans le monde réel, aux dernières nouvelles, les mêmes Cris parlaient de bloquer la route de la Baie James. Oui, on peut toujours rêver…