Trois ans après l’entrée en vigueur de la loi, l’accès à l’aide à mourir demeure hautement inégal au Québec pour les personnes souhaitant mettre fin à leurs jours. En général, une demande sur trois ne se réalise pas au Québec, et jusqu’à la moitié des demandes restent en plan dans les régions de Laval, Lanaudière et, dans une moindre mesure, à Montréal.
C’est ce que révèlent les données compilées par Le Devoir à partir du plus récent rapport déposé à l’Assemblée nationale par la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV), qui veille à l’application de la loi et comptabilise chaque année le nombre de demandes formulées à travers le Québec.
Différences marquées
La proportion d’aide médicale à mourir (AMM) non administrée se démarque notamment dans les régions de Laval et de Lanaudière, où, en 2017, 53 % et 46 % des demandeurs ont vu leurs requêtes échouer, soit plus que partout ailleurs au Québec. Malgré tout, la situation s’est tout de même améliorée dans Lanaudière, où la part des demandes non administrées avait atteint 60 % l’an dernier.
Lanaudière semble constituer un cas à part, puisqu’on y a observé en 2017 le plus fort taux de demandes d’aide à mourir par 100 000 habitants au Québec (29/100 000) ainsi que la plus forte proportion de décès survenus à la suite d’une procédure d’aide à mourir (2,1 %). Et cela, même s’il s’agit d’une région où la proportion de personnes âgées est moindre que la moyenne au Québec.
En fait, le taux de demandes d’aide à mourir par 100 000 habitants, toutes proportions gardées, y est deux fois plus important qu’en Montérégie ou en Estrie, et près de trois fois plus qu’à Montréal.
« Nous constatons une hausse importante de la demande et ajustons constamment les équipes pour faire face à la demande », a répondu mardi Pascale Lamy, adjointe au p.-d.g. des relations publiques, ajoutant que le recrutement médical demeurait un « enjeu constant ».
À Laval, où plus de la moitié (53 %) des demandes ne se concrétise pas, on explique que la façon différente de compiler et gérer les demandes explique ce taux élevé. Dès « la première étape d’une démarche d’AMM, le CISSS de Laval soutient le patient dans sa volonté d’aller de l’avant et n’évalue pas, à ce stade, la légitimité légale de la demande. Ceci explique […] la part d’AMM non administrée plus élevée à Laval », a fait valoir par courriel Pierre-Yves Séguin, conseiller en communications et en relations publiques pour cet organisme régional. En clair, ce CISSS inclut dans ses données totales toutes les demandes faites par les patients, avant même celles ne semblant pas d’emblée répondre aux critères de la loi.
À Montréal, où une forte proportion de médecins demeure opposée par principe à l’aide à mourir, le taux de demandes restées en plan en 2017 est resté à peu près inchangé, à 42 %.
À l’inverse, certaines régions se démarquent clairement en 2017 pour ce qui est de la capacité à répondre aux demandes, notamment les régions de Chaudière-Appalaches et de la Gaspésie, où 83 % des patients en fin de vie qui désiraient obtenir l’aide à mourir ont pu rendre leur dernier souffle comme elles le voulaient. La plus nette évolution au Québec a d’ailleurs été observée dans la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, où le pourcentage de demandes non administrées a chuté de 36 % ces dernières années à 17 % en 2017. La Gaspésie est d’ailleurs la région qui compte la plus forte proportion de personnes âgées de 65 ans et plus et le plus haut taux de décès par 100 000 habitants au Québec.
Écarts inacceptables
Mais le fossé marqué observé dans l’accès à l’aide à mourir selon les régions suscite la grogne chez certains médecins, qui estiment que l’accès à ce soin et à tout autre soin de fin de vie devrait être le même partout au Québec.
« La maladie est la même pour tous les patients du Québec. Pourquoi y a-t-il tant d’écarts dans certaines régions ? S’il y a des dérapages, ils sont là. Le mandat de la Commission sur les soins de fin de vie est de protéger les personnes vulnérables. Qu’arrive-t-il à ceux qui ont fait une demande légitime et ne l’ont pas eue ? » déplore le Dr Alain Naud, médecin spécialisé en soins palliatifs et dans l’aide à mourir au CHU de Québec.
De façon générale, le bilan des soins de fin de vie dispensés au Québec depuis décembre 2015 démontre que le fort taux de demandes non autorisées se maintient, année après année. Depuis trois ans, pas moins de 36 % des patients n’ont pas vu leur demande se matérialiser pour des raisons qui leur échappent. Dans la vaste majorité des cas (38 %), les délais pour évaluer ou traiter les demandes avant que les patients décèdent ou deviennent inaptes (36 %) sont en cause. L’an dernier, sur 1125 demandes d’AMM formulées, seulement 805 ont pu se concrétiser.
« Les problèmes se trouvent surtout dans les 805 malades dont on a accepté la demande et qui ne l’ont pas obtenu, parfois après plusieurs semaines d’attente. C’est inadmissible. Or, aucun examen de ces cas n’est fait. Ces situations anormales se perpétuent en toute impunité », affirme le Dr Naud, qui estime que la CSFV ne donne aucune reddition de compte à ce sujet et ne dévoile pas publiquement ses propres critères pour décider si une personne est bel et bien en fin de vie ou inapte à consentir à l’AMM.
Le Collège des médecins confirme que la revue des formulaires d’aide à mourir et la demande fréquente de renseignements complémentaires faites aux médecins par la Commission des soins de fin de vie (CSFV) continue d’alourdir le travail des médecins qui administrent l’AMM. Un nouveau formulaire, requis depuis novembre par le gouvernement fédéral, vient ajouter à ce fardeau. « Ça dédouble le travail pour les médecins. Il y a d’importants aménagements à faire, affirme le Dr Yves Robert, secrétaire et directeur général du CMQ. Certains y voient une façon de décourager les médecins de faire leur travail. »
L’allégement des tâches administratives est d’autant plus important que le nombre de demandes ne cesse de croître, et que dès 2019, un comité rendra public un rapport sur la pertinence d’élargir l’accès à l’aide à mourir à des patients qui en sont à l’heure actuelle exclus, notamment ceux considérés « inaptes ». Plus encore, plusieurs maisons de soins palliatifs, autrefois fortement réfractaires à offrir l’aide à mourir, acceptent désormais d’inclure ce soin dans les options de fin de vie.