François Legault ne connaît pas très bien le Canada anglais. Pour un homme qui est en politique depuis 20 ans, il était pour le moins étonnant qu’il soit incapable de nommer la seule province officiellement bilingue.
Le premier ministre n’est pas non plus un virtuose de l’anglais, même s’il est parfaitement capable de se faire comprendre. Lors du débat télévisé organisé par un consortium de médias anglophones, Philippe Couillard et Jean-François Lisée étaient nettement plus à l’aise.
En cela, M. Legault est tout à fait représentatif d’un grand nombre de Québécois, qui sont plutôt indifférents à ce qui se passe dans le reste du pays et ne font pas un grand effort pour apprendre l’anglais. La différence est que ses fonctions ne lui laissent d’autre choix que d’entretenir des relations avec ses homologues canadiens et, si possible, de créer certaines complicités.
Robert Bourassa ne maîtrisait pas mieux la langue de Shakespeare et il trouvait le Canada anglais profondément ennuyeux. Il avait toutefois compris que le Québec avait besoin d’alliés. Dans les années 1970, il s’était appliqué à tisser des liens avec le premier ministre de l’Alberta, Peter Lougheed. Dans les négociations qui ont mené à l’accord du lac Meech, son plus fidèle allié, outre Brian Mulroney, avait été le premier ministre de l’Ontario, David Peterson.
M. Legault a beau être devenu un fier Canadien, il n’a pas été initié aux arcanes du fédéralisme, et pour cause ; pendant des années, la seule chose qui l’intéressait était d’en sortir. Maintenant qu’il a décidé d’y rester, il découvrira qu’il vaut mieux ne pas être isolé dans ce panier de crabes.
Malgré les réactions négatives qu’ont provoquées ses remarques sur l’énergie « sale » produite dans l’ouest du pays, par opposition à la propreté de notre hydroélectricité, il paraissait ravi de sa performance à la récente conférence des premiers ministres et la plupart des Québécois l’ont également appréciée.
Objectivement, M. Legault avait raison. Le pétrole tiré des sables bitumineux est indéniablement sale et il serait préférable que l’Ontario se mette à l’hydroélectricité plutôt que de rénover ses centrales nucléaires. Il est tout aussi évident que l’acceptabilité sociale qui permettrait de ressusciter le projet de pipeline Énergie Est manque totalement.
Toute vérité n’est cependant pas bonne à dire. Au moment où le Québec remportait le gros lot de la péréquation, alors que son économie et ses finances publiques font l’envie de plusieurs, il aurait été plus avisé de conserver un profil bas.
Déjà le Québec traîne la réputation d’être l’enfant gâté de la fédération.
Il est sans doute enrageant de se voir reprocher de profiter de la péréquation, alors qu’Ottawa favorise depuis des décennies le développement industriel de l’Ontario et le pétrole de l’Ouest, mais la fanfaronnade n’effacera pas les préjugés. Elle ne peut que les alimenter.
La mémoire collective peut être très longue. Clyde Wells, qui s’était allié à Jean Chrétien pour torpiller l’accord du lac Meech, était sans doute un trudeauiste convaincu, mais l’opinion publique terre-neuvienne avait aussi sur le coeur le contrat de Churchill Falls, qu’elle voit toujours comme une arnaque.
Le « nouveau projet pour les nationalistes du Québec », que M. Legault avait présenté avec enthousiasme en congrès caquiste, contenait des demandes qui pouvaient faire l’objet de négociations bilatérales entre Québec et Ottawa, mais bon nombre d’entre elles ne pourraient être satisfaites qu’avec l’accord de sept provinces totalisant 50 % de la population canadienne, tandis que d’autres nécessiteraient l’unanimité. Cela suppose que le Québec trouve suffisamment d’alliés et évite autant que possible de se faire des ennemis irréductibles.
Il est vrai que le dossier constitutionnel semble loin d’être prioritaire pour le gouvernement Legault. Le premier ministre n’y a fait aucune allusion dans son discours d’ouverture, ni ailleurs. Encore un peu et il va reprendre le refrain libéral du fruit qui n’est pas encore mûr.
Les grands rendez-vous constitutionnels sont des moments exceptionnels dans la vie du merveilleux monde des relations fédérales-provinciales canadiennes. Le quotidien n’en est pas moins fait de négociations permanentes sur une infinité de sujets, dont les résultats dépendent des rapports de force et des jeux d’alliance.
M. Legault rêve du jour où le Québec pourra se passer de péréquation, mais il reconnaît qu’il faudra encore « quelques décennies » avant qu’il rejoigne le niveau de richesse du reste du Canada. Autrement dit, une éternité. Pour le moment, c’est grâce à elle que son gouvernement peut disposer de plantureux surplus.
Il y a déjà longtemps que les provinces qui ne touchent pas de péréquation dénoncent la part accaparée par le Québec, même s’il est la province bénéficiaire qui en reçoit le moins par habitant. L’Ontario de Doug Ford vient de se joindre à celles qui réclament une révision de la formule de calcul. Pour l’heure, Ottawa s’y refuse, mais ce n’est que partie remise. À ce moment-là, le Québec aura bien besoin d’alliés.