Avec Noël, c’est la vie qui reprend ses droits, le temps d’une fête. Rappel annuel du miracle quotidien de la vie, de sa beauté dans son surgissement : la naissance, source inépuisable d’émerveillement et de nouveaux commencements. Moment privilégié pour prendre conscience de notre appartenance à la vie. Ce n’est pas rien, après tout : sentir, grandir, aimer, protéger, coopérer, créer des liens, donner la vie ; contempler la beauté incommensurable du monde ; participer à quelque chose de plus grand que soi, qui nous précède et nous survivra, qui nous englobe et nous habite à la fois. Être humain, tout simplement.
Et pourtant, combien peu y prêtent attention, dans une société centrée sur le rendement et obnubilée par la virtuosité de la technologie virtuelle, nous rendant toujours un peu plus étrangers au monde, déracinés, désincarnés. La grave crise écologique a malgré tout l’insigne vertu de tirer la sirène d’alarme en nous rappelant à notre responsabilité à l’égard de nos conditions d’existence, fragilisées à l’excès par l’adoption d’un mode de vie qui non seulement ne tient pas compte des liens qui nous unissent à la nature, mais les rompt dangereusement. La logique néolibérale qui régit nos sociétés nous enfonçant un peu plus dans l’impasse, en transformant le monde, la nature, les humains et la vie même en marchandises, en profit, en capital.
Or, Noël nous ramène à l’essentiel. Et la nature en fait éminemment partie, elle dont le mot dérive de naître – comme Noël, d’ailleurs –, et évoque le si beau, si fragile, si précieux jaillissement de la vie, sur laquelle il nous faut veiller soigneusement comme sur nous-mêmes, puisque nous en sommes une partie intégrante.
En célébrant la naissance comme une des plus belles manifestations du sacré et de la transcendance au coeur du monde, Noël déploie de puissantes ressources intérieures : la mémoire est l’une d’elles, qui plonge ses racines dans la vie et ses épreuves, pour en puiser de la beauté, de la bonté, une soif de justice ; mais surtout, en ces temps sombres, la capacité d’imaginer l’avenir autrement qu’à partir de la grille de lecture des puissants et d’ouvrir des brèches subversives dans la tyrannie du présent, en remettant en question les représentations du monde qui émanent des pouvoirs en place, colonisent notre imaginaire et légitiment le conformisme.
Noël, en effet, en mettant en présence de la fragilité de la vie, dégage l’horizon des possibles. Il nous invite à entretenir des liens bienveillants et bienfaisants avec les choses, les êtres et tout le vivant qui entoure plutôt qu’à s’abandonner au fantasme de la force et la démesure ; et à accueillir notre finitude et nos limites comme une grâce qui nous permet de grandir en humanité et en démocratie.
La vie est chemin d’humanité
Certes, le chemin qu’ouvre Noël est ardu. Mais comment peut-il en être autrement si exister, c’est aussi résister et combattre ce qui avilit, menace, défigure l’existence ? Quand des élites puissantes et richissimes, jalouses de leurs pouvoirs et de leurs privilèges, cherchent à dicter la marche à suivre à la multitude — conduisant à la déshumanisation et à la destruction des écosystèmes —, alors oser défendre la justice, la vie digne, le bien commun et le respect de la nature peut coûter cher, jusqu’à la vie même. Mais même sans cette menace terrible, il reste que vivre pleinement ne va jamais de soi. Il nous faut l’aide des autres. La vie est chemin d’humanité : si c’est pouvoir ressentir la joie, l’amour et le désir comme un souffle profond qui nous anime, c’est aussi accepter d’éprouver la souffrance, le manque et l’absence parfois inévitables. Et si la blessure, la peur, la défaillance sont des compagnes sur notre route, la douceur, l’amitié, la main tendue le sont autant.
L’histoire de Noël des évangiles ne dit pas autre chose, malgré l’enrobage marchand qui en édulcore passablement le sens et la portée. C’est pourquoi elle traverse les âges, comme un souffle qui aide à soutenir la marche au plus près de la vie. Ombre et lumière s’y côtoient. Les gens pauvres à la périphérie des pouvoirs sont les principaux personnages de cette histoire, qui a lieu cependant sur fond d’un empire tentaculaire qui fait sentir son emprise et sa violence sur la population conquise. On y raconte une naissance merveilleuse, mais aussi que les portes de Bethléem se ferment aux migrants et qu’une femme enceinte est forcée d’accoucher dans une étable. À la générosité des mages venus d’Orient offrir des cadeaux au nouveau-né succèdent la violence du roi Hérode, qui ordonne le massacre d’innocents, les pleurs des mères sur leurs enfants, la fuite dans le désert et l’exil.
C’est le début du récit de Jésus, le bien-aimé de Dieu, accueilli à sa naissance que par la louange des anges et la présence de quelques pauvres bergers, et qui mourra plus tard pendu à un gibet en dangereux séditieux. Noël nous rappelle tout cela. Mais surtout que la vie est plus forte que la mort. Et nous aide à tenir debout, malgré tout. Car Noël, c’est déjà Pâques.