Interpellés par une lettre d’une cinquantaine de pédiatres dénonçant la surmédication pour traiter le trouble déficitaire d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez les enfants, les médecins omnipraticiens se sont défendus jeudi de prescrire à tout vent. Ils certifient vouloir aider des patients qui n’ont pas accès à des spécialistes.
« On est souvent face à des parents en détresse qui veulent des résultats rapides. Or l’accès aux autres ressources est loin d’être évident. Le plus rapide possible, malheureusement, actuellement, ça demeure la médication », laisse tomber en entrevue avec le Devoir le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). « Pourquoi nous reprocher de tenter d’aider un patient ? » insiste-t-il.
Dans une lettre ouverte publiée dans Le Journal de Montréal jeudi, 48 pédiatres et chercheurs ont sonné l’alarme devant l’utilisation croissante de médicaments — tel le Ritalin — pour corriger le comportement d’un enfant qui montrerait des signes de TDAH. Ils ont appelé à une « remise en question » collective, tant de la part des médecins prescripteurs que du corps enseignant, des parents et psychologues qui évaluent les enfants et « se [tournent] trop facilement vers une pilule pour traiter tous les maux ».
Hausse des prescriptions
Pour justifier leurs inquiétudes, ils se sont appuyés sur des données de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) qui montrent une augmentation des prescriptions de médicaments pour les jeunes de 0 à 25 ans, sur la période de 2006 à 2015, pour traiter le TDAH. Ces chiffres sont surtout beaucoup plus élevés au Québec que dans le reste du Canada. Par exemple, on compte au Québec 13,97 % de jeunes de 10-12 ans qui consomment des médicaments psychostimulants. Un taux qui grimpe à 14,5 % chez les 13-17 ans. Dans le reste du pays, c’est plutôt 5,08 % des 10-12 ans et 4,3 % des 13-17 ans.
Les signataires de la lettre regrettent également qu’un traitement basé sur plus d’intervention psychosociale soit mis de côté. « Avec les assurances médicaments, c’est moins cher d’avoir du Ritalin que de voir un psychologue, ce n’est pas normal », déplore l’un des cosignataires, le pédiatre Guy Falardeau.
Il ne faut pas non plus « démoniser » la médication, soutient Annick Vincent, psychiatre spécialisée en TDAH, qui juge les pilules utiles lorsqu’elles sont accompagnées d’une approche thérapeutique adéquate. « Les médicaments, c’est comme donner des lunettes à un enfant myope qui a des difficultés en français. Ça ne corrigera pas ses fautes d’orthographe, mais ça l’aidera à apprendre plus vite et à écrire correctement », donne-t-elle en exemple.
Mais pour cela, il faudrait davantage de spécialistes, concède-t-elle, expliquant refuser chaque jour de nouveaux patients dans sa clinique, par manque de temps.
Même son de cloche du côté du Dr Godin. S’il reconnaît que l’approche multiple — qui combine donc médication et intervention des spécialistes pour suivre le patient — reste la meilleure, il assure que « les ressources ne sont pas au rendez-vous ». « Psychologue, pédiatre, éducateur spécialisé, ergothérapeute, pédopsychiatre : on a besoin d’eux pour préciser le diagnostic et moduler le traitement », explique-t-il.
Le gouvernement de François Legault a d’ailleurs annoncé le même jour un programme de dépistage précoce des retards de développement chez les enfants, qui prévoit notamment l’embauche de 800 professionnels d’ici deux ans pour effectuer ces examens.
Une décision bien accueillie par M. Godin et Mme Vincent, mais qui a laissé M. Falardeau de marbre. « C’est bien beau d’ajouter du monde pour évaluer tous les enfants, mais si c’est pour tous leur trouver des TDAH alors qu’ils souffrent d’autres maux, à quoi ça sert ? » s’interroge le pédiatre, l’air exaspéré.
Erreurs de diagnostic
M. Falardeau, qui accumule 43 ans d’expérience et dont la clientèle est majoritairement constituée d’enfants avec un TDAH, considère que nombre d’entre eux ont initialement reçu un mauvais diagnostic. « Dès qu’on voit un enfant agité, qui a des problèmes à l’école, qui est inattentif et confrontant, on se dit tout de suite qu’il a un TDAH, dit-il. Mais ça peut être de l’anxiété liée à une situation à l’école ou à la maison. On n’est pas capable comme société de distinguer les deux. »
D’après ses observations, l’anxiété chez les enfants a explosé ces quinze dernières années. Mais lorsqu’il envoie un enfant dans un CLSC pour un tel problème, on vient contredire son diagnostic et dire que le patient a un TDAH. « C’est comme si c’était plus facile d’en arriver à cette conclusion plutôt que de s’attarder sur les aspects affectifs et psychosociaux qui peuvent entrer en cause. »
La psychiatre Annick Vincent abonde dans le même sens. Elle estime que la société est désormais constituée de personnes stressées, impatientes, toujours collées à un écran, incapables de gérer leur temps ou leurs émotions, et ce, dès l’enfance. « Finalement, on a tous des allures de TDAH, mais c’est plutôt un problème de société. »
Elle reconnaît toutefois que faire la part des choses et établir un bon diagnostic n’est pas chose facile quand on donne à un médecin quinze minutes pour évaluer son patient.
Une opinion partagée par la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. « Une bonne évaluation prend plusieurs heures. Ça nécessite de refaire toute l’histoire : reconnaître les symptômes, comment la problématique s’est développée, depuis quand, dans quel contexte, pour discerner si c’est vraiment un TDAH. En même temps, quand tu as devant toi un enfant impulsif, inattentif, qui a l’impression de travailler fort mais n’y arrive pas, qui a perdu toute confiance ou estime de lui, difficile de le laisser sans intervention », confie-t-elle.