« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse », disait Jean-Luc Godard, en étreignant de son siège le panorama du grand écran.
L’expérience cinéphilique donne désormais par-dessus le marché l’occasion de lever la tête de son cellulaire et de sa tablette, en embrassant un horizon plus large que celui d’une enveloppe brune ou d’un timbre-poste.
Sous multiplication des miniplateformes où les films compriment leur substance, la naissance d’une salle de cinéma est devenue un acte de résistance et de foi. Alors quand deux d’entre elles, Cinéma Moderne et le Cinéma du Musée, voient le jour dans notre métropole à une semaine d’intervalle, on sent ses antennes osciller entre perplexité et espoir.
Est-ce que ça va marcher ?
Lundi dernier, en plein Mile-End, au 5150 boulevard Saint-Laurent, Cinéma Moderne venait au monde. Cinquante-quatre sièges et une programmation diversifiée entre classiques et primeurs pour public adulte ou enfantin, avec café bar afférent, dont les consommations se transportent devant l’écran. Le lieu, à la fine pointe côté son et image et projecteurs, servira durant le jour souvent de studio de mixage et de colorisation pour la boîte Post-Moderne. Il entend accueillir aussi des événements privés, des festivals, miser sur la diversification des sources de revenus pour garder le cap.
Et pourquoi pas, après tout ?
En fermant un peu les yeux là-bas, on se croirait de retour aux beaux jours du Parallèle et du café Méliès, avant 1999, sous le règne de Claude Chamberlan, du temps où la salle à la faune bourdonnante n’avait pas encore pris ses quartiers au défunt Excentris.
Même si l’époque romantique du coude-à-coude perpétuel devant les gars des vues appartient au folklore de la Main et autres lieux chauds du septième art montréalais, le pari des cinémas indépendants de quartier comme espaces de vie, de rencontres et d’événements spéciaux reprend de la graine.
Après tout, une jeune clientèle bohème, artiste et branchée hante le Mile-End. Reste à percer les bulles du temps où chacun s’enferme. Roxanne Sayegh, qui dirige Cinéma Moderne avec Alexandre Domingue, évoque un projet viable et fragile, appelé à s’adapter tout en souplesse aux besoins de la clientèle.
Des petites salles vouées à des propositions cinématographiques de qualité existent ailleurs, remarquez, tels le Station Vu dans l’Est ou le Dollar Cinema dans N.-D.-G. À plus vaste échelle, le Beaubien et le Cinéma du Parc se sentaient seuls sur leurs îles respectives.
Depuis le temps que des projets de nouvelles salles naissaient, mouraient, poireautaient sous rumeurs et déceptions, on avait fini par croire à un mauvais génie acharné sur Montréal. Le rêve de relance du Quartier-Latin par MK2 se sera effondré après que la maison française eut perdu son procès contre Cineplex, qui continue à l’opérer.
Un manque d’éducation au septième art dans les écoles fait trembler l’avenir du film d’auteur. L’âge moyen des spectateurs a augmenté devant ces oeuvres-là, qui peinent à faire salle comble. Où est la relève du public ? Mais trêve de mélancolie ! Certains refusent d’avaliser le déclin des audiences du septième art indépendant en nos terres.
Le chemin du musée
Mardi prochain, le Cinéma du Musée ouvrira devant nous ses portes au MBAM sur Sherbrooke. Il s’invite sur le site de l’ancien auditorium Maxwell-Cummings, longtemps utilisé par Fantasia et autres rendez-vous de films, dûment rebaptisé, désormais rénové « high-tech », sur programmation quotidienne. Le tout sous la gouverne de Mario Fortin, déjà à la tête du Beaubien et du Cinéma du Parc. 294 places, rien de moins. Les étudiants de McGill et de Concordia sont une clientèle courtisée à deux pas, mais le but consiste à ratisser plus large.
Depuis la fermeture du Parisien à l’Excentris, Mario Fortin gémissait, jugeant le manque d’écrans néfaste pour Montréal, où les films ne tiennent pas l’affiche assez longtemps pour trouver leur pleine audience. Ses propres salles marchent mieux que le Quartier-Latin, faut dire. Il connaît la musique. Autant lui faire confiance.
Le Cinéma du Musée, voué aux clientèles francophone et anglophone par sous-titrage, fonctionnera en réseau, lancera des films art et essai de prestige en primeur in situ avant de leur offrir une seconde vie au Beaubien et au Cinéma du Parc. Il accueillera des festivals, très bientôt celui du Nouveau Cinéma, liant parfois des projections aux expositions du Musée des beaux-arts de Montréal.
On souhaite la meilleure des chances à tout ce beau monde, touchant du bois, histoire de conjurer les sirènes des nouvelles plateformes, Netflix et compagnie. La ville a du chemin à rattraper en matière de cinéphilie. Rêvons qu’il lui reste assez de souffle pour entreprendre en levant la tête, seule et avec d’autres, les enivrants pèlerinages devant les grands écrans, ceux qui s’ancrent dans la mémoire pour longtemps.