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Le système de santé québécois actuel met énormément de pression sur les épaules des médecins de famille. Selon un rapport du Programme d’aide aux médecins du Québec, « la grande majorité des clients ayant consulté le programme en 2016-2017 a évoqué les pressions du système de santé. Dans certains cas, cette pression constituait le motif principal de consultation ». « Et encore, ajoute le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), on ne parle que de ceux qui ont consulté ! Malheureusement, on n’a pas de preuves scientifiques, mais on peut facilement extrapoler que le nombre de médecins qui souffrent de difficultés est encore beaucoup plus grand que le nombre de ceux qui ont consulté. »
Lorsque le Dr Godin rencontre des médecins dans leur bureau ou à l’hôpital, il est clair pour lui qu’ils ressentent une souffrance et un épuisement : « Les médecins ne savent plus comment faire pour répondre à tout ce qu’on leur demande ».
De plus, le président en est convaincu : « Ce qui aggrave ces problèmes, c’est que l’on continue de leur dire qu’ils n’en font pas assez, qu’ils ne savent pas s’organiser et qu’ils sont paresseux. » Le phénomène de la détresse se vérifie auprès des autres professionnels de la santé, « mais les gens pensent que les médecins sont au-dessus de tout ça. C’est faux ! » s’exclame-t-il.
Analyse partiale
Louis Godin assure que les omnipraticiens doivent lutter contre certaines idées reçues, dont celle que les médecins de famille ne travaillent qu’à mi-temps, d’où les problèmes d’accès : « C’était une analyse partiale de la part du ministre de la Santé, mais c’est quelque chose que tout le monde a admis. Pourtant, la réalité, c’est qu’il y a trois ans, les médecins de famille travaillaient déjà autant que tous les autres médecins au Québec ou au Canada », affirme le président. En général, la référence pour un omnipraticien correspond à un horaire de 40 à 45 heures par semaine.
L’autre élément qui influe sur la santé des médecins de famille, c’est tout l’aspect de la réforme du système : « On a créé des mégastructures, on a dépersonnalisé les institutions », explique Dr Godin. Aujourd’hui, les mégahôpitaux peuvent compter plus de 1000 médecins, « on ne peut plus s’appuyer sur la dynamique locale qui existait auparavant. Toute l’habileté qu’un milieu possédait avec sa propre façon de répondre aux besoins de sa population, on a tout brisé ça et, maintenant, les ordres viennent de Québec et il n’y a qu’un seul modèle, une seule façon de faire », ajoute-t-il.
Le président croit qu’on a ainsi enlevé beaucoup d’autorité aux médecins, surtout dans les régions où il n’y a pas un seul gros établissement, mais plusieurs hôpitaux périphériques, « aujourd’hui, c’est comme si on travaillait tous dans le même hôpital ». Un centre décisionnel parfois à plus de 150 kilomètres d’un lieu de travail et des directives qui viennent d’en haut, voilà d’autres éléments qui sont venus miner la santé des médecins.
La FMOQ n’a pas attendu la récente campagne électorale pour faire entendre ses inquiétudes au gouvernement : « Depuis trois ou quatre ans, on a fait des dizaines et des dizaines d’interventions où on mettait en avant nos propositions », explique le Dr Godin. Parmi celles-ci, le retour vers une décentralisation, une cogestion des établissements partagée avec les médecins, une prise en compte de la réalité des régions ou des sous-régions dans l’organisation du système de santé, plus de souplesse dans l’administration des groupes de médecine familiale et des supercliniques et, finalement, « qu’on reconnaisse que les médecins n’ont pas tous la même clientèle, qu’ils n’ont pas tous la même façon de travailler et qu’on ne peut pas tous travailler avec des cibles qui sont non négociables ».
L’avenir de la profession
Mais plus que tout, le souhait du Dr Godin et de la FMOQ, c’est qu’enfin change « le climat dans lequel on a évolué au cours des dernières années. Ce climat de mépris, d’obligation et de coercition, ça ne marche pas et ça ne marchera jamais à moyen et à long terme ». Le président précise que de telles mesures peuvent donner une impression de résultats à court terme, mais « ce n’est pas vrai qu’on peut forcer des professionnels à maintenir une haute qualité de services seulement avec des menaces ».
L’immense enjeu auquel fait face le système de santé aujourd’hui est la rétention des médecins : « Le problème, c’est qu’on ne réussit pas à pourvoir le nombre de postes fixés d’avance », explique le président. Pourquoi ? « On a changé les règles du jeu en cours de route et on a proposé des conditions de pratique qui ne correspondent pas aux attentes des futurs médecins », ajoute-t-il. Résultats : 65 postes étaient vacants l’an passé. Ce qui signifie que, dans deux ans, il y aura toujours 65 médecins de moins que prévu qui arriveront sur le marché du travail.
De plus, et c’est ce que cherche à préciser la FMOQ avec des données qui devraient être exploitées sous peu, « on sait qu’au cours des deux ou trois dernières années, on a eu plus de retraites que ce qu’on avait prévu », explique le Dr Godin. De ce fait, le bilan risque de s’alourdir et le fossé, de se creuser. « On est en train de recréer la pénurie qu’on a vécue dans la première décennie des années 2000. »
Selon le Dr Godin, être médecin n’est absolument pas une condition indispensable pour devenir ministre de la Santé. Toutefois, « la personne qui occupera ce poste aura un net avantage si elle connaît bien le réseau de la santé et son fonctionnement. L’important, c’est son style, sa capacité à écouter et à obtenir des consensus, et tout ça n’est pas relié au fait d’être ou non médecin ».