Vers le début du mois de septembre, lorsqu’ils ont constaté que les enjeux environnementaux (et climatiques) étaient loin d’occuper la place qui leur revenait dans la campagne électorale, une poignée de citoyens se sont trouvés et spontanément réunis par l’entremise des réseaux sociaux. Ensemble, ils ont organisé trois manifestations non partisanes avant le vote, en nommant leur action et leur collectif « La planète s’invite dans la campagne ».
Sans moyens de mobilisation autres que leurs propres réseaux, et en une petite semaine à peine chaque fois, ils ont réussi à faire marcher 1000, puis 5000, puis 7000 personnes. La couverture médiatique de ces actions a été modeste. Puis l’élection est arrivée, et un certain désir de changement au terme de quinze années de règne libéral, couplé à notre mode de scrutin archaïque, a eu pour effet que le vote de 24,87 % des électeurs inscrits a pu couronner un gouvernement caquiste.
Doit-on rappeler ici que la CAQ était bonne dernière parmi les formations politiques en ce qui a trait à ses engagements pour l’environnement ? En se basant sur les réponses à un questionnaire en 23 points soumis aux quatre principaux partis, Greenpeace lui a octroyé la note de 28 %, loin derrière QS (87 %), le PQ (76 %), et même les libéraux (52 %). Il était tôt dans la soirée du 1er octobre, 20 h 25 à peine, quand le mot a été lâché : majoritaire. Et tant pis pour la planète. J’ai pensé : « À partir de maintenant et pour quatre ans, on ne pourra plus se reposer. »
Jean-François Beauchemin a visiblement fabriqué son très beau Archives de la joie. Petit traité de métaphysique animale (Québec Amérique) loin de toute actualité politique. Pourtant, ce petit ouvrage de douceur et de patience porte en lui des lumières qui l’érigent en une sorte de manifeste en faveur du vivant sous toutes ses formes. Beauchemin offre au lecteur une collection de rêveries d’une finesse éclatante, autour du lien que l’écrivain entretient avec toutes ces choses vibrantes qui le frôlent, animaux de passage, cosmos, voisins, arbres, paysage.
« Je ne suis heureusement pas un être troublé, ni triste, ni fâché contre sa vie, je ne suis qu’un homme toujours ému et étonné par la brièveté de tout, et qui s’efforce de compenser au moins un peu cette brièveté par l’un ou l’autre des contrepoids qui sont à sa portée, la joie par exemple, ou sinon la recherche de la beauté. » J’ai lu pour trouver refuge après la froide marée bleu pâle, je l’avoue, mais le rappel de ces contrepoids m’a été salutaire. La joie, bon sang : bien sûr.
Dans la bataille que les citoyens devront mener pour faire respecter leur droit à un environnement sain et à un futur habitable pour eux comme pour leurs enfants, la joie sera capitale. Je l’apprends chaque jour un peu plus, à ma mesure, une marche à la fois, un acte à la fois : l’engagement crée une forme de bonheur puissant, survitaminé, auquel rien ne peut se substituer. Aucun confort, aucun plaisir, aucun repos n’a la saveur particulière de ces moments où l’on a décidé de donner un peu de soi pour faire pencher les choses dans une autre direction que l’inquiétante fatalité qu’on nous promet.
Au fil des textes courts qui constituent ces Archives de la joie, on rencontre une variété épatante de représentants de la faune : âne, tortue, bébé coyote, chevreuils, renards, chiens et chats, porc-épic, auxquels l’auteur prête une vie intérieure passionnante et nuancée, le tout à l’image de la multitude de sensibilités qui constituent une véritable société. Cet anthropomorphisme poétique me semble être une forme particulièrement émouvante de l’empathie : chercher, dans tout ce qui vit, par où nous sommes liés. Par quelles fragilités, par quelle enfance enfuie, par quel silence devant la mort.
Cette quête pourra nous être utile même entre humains, me semble-t-il, pour arriver désormais à avancer ensemble malgré les polarisations galopantes qui nous affligent. Il y a là une forme de sagesse à adopter au plus vite : chercher (et trouver) le lien entre soi et ceux qui n’ont pas voté comme nous. S’il est invisible à l’oeil nu : l’imaginer. Et y croire. Parce que nous aurons besoin de tout un chacun pour la suite du monde.
Comme le dit le lièvre pris au collet et revenu de la mort, quand il réapparaît dans le jardin du narrateur : « Mais le plus difficile reste encore de dire sans passer pour fou que j’ai néanmoins rapporté de ce séjour l’impérissable conviction que ma vie n’est pas inutile, et qu’il me faut pour la mener à bon port écouter, bien regarder, tisser des liens avec des inconnus, réfléchir et m’étonner, ne pas me décourager et persister quand tout semble me résister. Ce n’est pas que quelque chose m’attende tout au bout, puisqu’il n’y a rien. Mais je pense que d’ici là ma petite contribution est requise. » Oui. D’ici là, chacune de nos petites contributions est requise. Au travail, frères humains.