Le Conseil des ministres de François Legault sera dévoilé jeudi. En attendant, des voix supputent et lancent des noms. Qui héritera du Conseil du trésor, des Finances, de la Santé, du Commerce international, de l’Immigration ou de l’Éducation, gros portefeuilles à remplir et à dépenser ? Il s’agit d’un exercice de voltige, avec jongleries sur fil de parité. Lui ou elle, elle ou lui.
Aux ténors de la chorale politicienne, on aimerait ajouter la petite voix sourde de la culture, celle qui (pas toujours, deux fois sur trois, à vue de nez) se voit dévolue à des élus peu familiers de ses univers multiformes.
Du moins, Claire Samson, femme de médias au long cours, qui fit la navette à haut niveau entre Radio-Canada, Télé-Métropole et Quatre-Saisons et dirigea longtemps l’Association des producteurs de films et de télévision du Québec, avec son énergie d’enfer, pourrait-elle affronter les mutations du secteur audiovisuel qu’elle connaît par coeur. Le chef de la CAQ a l’embarras du choix, en fait. Espérons qu’il en usera à bon escient.
À peine abordée en campagne électorale, la culture, mal aimée, négligée quoique vitale ; pourtant, c’est bien pour dire, dans un récent sondage Léger sur l’identité québécoise, les répondants plaçaient la culture en tête de liste comme vecteur d’unité nationale, avec 49 % des voix, juste en dessous de la langue (53 %).
Mais que mange-t-elle, cette culture-là ? Les gens l’apprécient théoriquement sans trop savoir quels ingrédients entrent dans sa marmite, faute de la voir accueillie en hôte de marque par les politiciens et de s’y frotter au quotidien. Les chroniqueurs culturels se fendent de papiers sur la névralgique question. Sinon, rien ou si peu. À croire que seule la langue commune demeure pour la plupart des Québécois un pilier de leur temple…
Décriée parce que jugée élitiste en ses sphères fines, tour à tour raillée et vénérée pour son vedettariat maison, considérée comme superflue dans un monde affichant le matérialisme et la réussite sociale en visées suprêmes, de plus en plus virtuelle et mondialisée, la culture a fort à faire pour développer de vraies racines en nos sols.
Pour l’heure, on la regarde flotter sous des voiles et des masques, souvent confondue avec le divertissement, mieux comprise quand elle fait recette sur la place des Festivals ou dans d’autres agoras urbaines qu’à travers sa nécessaire infiltration dans l’esprit des Québécois du territoire entier.
Des lignes de parti à dépasser
La politique culturelle, lancée en juin dernier et assortie d’une enveloppe de 600 millions, émanait du Parti libéral, comme l’avait été en 1992 celle de Liza Frulla. À propos, allez savoir pourquoi le PQ, qui partagea si longtemps le pouvoir avec le PLQ, n’avait pas lui-même mené ce chantier au cours d’un de ses règnes, dans un domaine qui servait si bien son projet souverainiste, quand tant d’artistes poussaient à sa roue. Les voies de la politique sont impénétrables. Comment deviner ce qu’un parti fera de cette substance en mutation constante qui ne déchaîne point les passions électorales ? Le doute nous assaille encore une fois…
Sans vouloir offenser François Legault, force est de constater que sa personne n’exhale point l’amour vibrant de la culture. Le chef de la CAQ n’aura guère, chose certaine, manifesté un grand intérêt pour ce secteur à l’Assemblée nationale, hors du débat Netflix, tison qui enflamma tout le Québec, prouvant par la bande la suprématie de cette plateforme américaine dans notre vie culturelle collective.
Le premier ministre désigné s’était engagé en campagne à maintenir cette politique libérale pour l’essentiel, en plus de bonifier l’appui aux sorties culturelles et aux bibliothèques scolaires. Il a promis aussi de soutenir le patrimoine religieux, qui s’en va à vau-l’eau, quitte à lui trouver de nouvelles vocations, ces clochers et ces dômes demeurant des témoins privilégiés de notre histoire.
Sauf que la CAQ entend également sabrer l’ensemble des programmes gouvernementaux. Et qui peut présager quels segments abolis feront tarir sa sève ?
C’est toute une chaîne alimentaire qui maintient la culture en mouvement, au sein de la machine étatique comme dans les petits organismes à vocation artistique adulte ou enfantine, souvent sous-financés et en perte de souffle.
Devant l’ampleur de la tâche à accomplir pour soutenir une culture fragile, balayée par les vents planétaires mais garante de sa société distincte, à l’heure où un nouveau parti entre en piste, on invite son chef à dépasser ses lignes. Le Québec aura besoin des références culturelles pour affronter les défis écologiques, artistiques et humanitaires, en résistant aux lavages de cerveau porteurs de division et d’intolérance venus de partout. Alors on croise les doigts pour ne pas les sentir trembler d’appréhension. Voilà !