La mairesse Valérie Plante et le chef de l’opposition à l’Hôtel de Ville de Montréal, Lionel Perez, ont eu la sagesse de refuser de se lancer prématurément dans un débat sur les signes religieux, mais ce n’est que partie remise.
La motion du conseiller indépendant de Snowdon, Marvin Rotrand, qui semble se complaire dans le rôle du boutefeu, était d’ailleurs sans objet. La CAQ n’a jamais évoqué la possibilité d’interdire le port de signes religieux aux élus, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au niveau municipal. La charte de la laïcité du gouvernement Marois ne le prévoyait pas non plus.
M. Rotrand soutient avoir obtenu l’assurance que les élus de Projet Montréal et d’Ensemble Montréal auraient appuyé sa motion si celle-ci avait été mise aux voix. Cela est en effet probable, mais quel aurait été l’intérêt d’enfoncer une porte ouverte, sinon d’envenimer un débat qui est déjà suffisamment explosif ?
M. Rotrand n’en est pas à sa première intervention du genre. Au printemps dernier, il avait demandé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’autoriser ses agents à porter le hidjab ou le turban, comme c’est le cas dans de nombreux corps policiers municipaux ailleurs au Canada, que ce soit à Toronto, Vancouver, Calgary ou Edmonton, ou encore dans la GRC.
Aucun policier en service au Québec n’avait manifesté l’intention d’en porter, mais une jeune étudiante en techniques policières du collège Ahuntsic, Sandos Lamrhari, qui souhaite faire carrière au SPVM ou au Service de police de la Ville de Laval tout en portant le hidjab, avait été érigée en symbole par le premier ministre Couillard, qui voyait en elle l’incarnation d’un Québec confiant dans l’avenir, où tout le monde peut participer.
Là encore, il était permis de s’interroger sur l’opportunité de provoquer ce débat, puisque le gouvernement libéral refusait d’interdire à qui que ce soit de porter des signes religieux, pour autant que le visage soit découvert, contrairement à la recommandation de la commission Bouchard-Taylor. Il entendait plutôt laisser à chaque corps policier le soin d’établir son propre code vestimentaire. Or, la direction du SPVM se disait ouverte à toute demande, tout comme la mairesse Plante.
Le changement de gouvernement rend cependant le débat inévitable. Si le premier ministre Legault n’exclut pas que les enseignants puissent échapper au projet de loi que présentera éventuellement le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, il n’y aura pas de recul dans le cas des agents de l’État exerçant un « pouvoir de coercition », notamment les policiers.
La constitutionnalité du projet sera contestée à coup sûr. M. Jolin-Barrette se dit convaincu que son projet passera le test des tribunaux. Sinon, M. Legault a réitéré dès le lendemain de l’élection qu’il était prêt à invoquer la disposition dérogatoire (« clause nonobstant ») prévue dans les chartes des droits. D’une manière ou d’une autre, l’interdiction du port de signes religieux finira donc par avoir force de loi.
Ce débat risque d’accentuer encore davantage le clivage entre l’île de Montréal et le reste du Québec, dont la dernière élection a donné une illustration spectaculaire. Le feu couve sous la cendre et il ne faut pas sous-estimer le risque de dérapage. Il y a à peine deux semaines, le maire de l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro, Dimitrios Jim Beis, s’en est pris férocement à la CAQ, dont il dénonçait les « politiques perçues comme racistes ».
« La CAQ instrumentalise la laïcité comme un cheval de Troie pour la mise en oeuvre de politiques d’exclusion et de division. Aucun Québécois ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et sa foi », écrivait-il sur Facebook. Des propos qui avaient un désagréable accent de déjà entendu.
On peut légitimement plaider que, dans une ville aussi multiethnique que Montréal, la population fera davantage confiance à son corps policier si sa composition reflète la diversité ambiante. La commission Bouchard-Taylor avait pris cet argument en compte, mais avait néanmoins conclu que la nécessité d’incarner pleinement la neutralité de l’État l’emportait dans le cas des policiers.
À l’Hôtel de Ville de Montréal, on trouvera sans doute cette interdiction excessive, même si le projet de loi de M. Jolin-Barrette sera nettement moins contraignant que l’était celui de Bernard Drainville, qui visait, au terme d’une période de transition, l’ensemble des employés d’une municipalité.
Le gouvernement Couillard accordait aux divers corps policiers, donc aux municipalités, le droit de définir leurs propres règles. On ne parle cependant pas ici d’aménagement urbain, mais d’un principe directeur applicable à toute la société québécoise. L’expression de la neutralité de l’État ne peut pas être à géométrie variable. Que cela leur plaise ou non, il n’appartient pas aux municipalités d’en fixer les paramètres, mais au gouvernement élu par l’ensemble de la population du Québec.