Lors du dernier sommet de la Francophonie, la polémique sur le poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie a pris le dessus sur ce qui constitue selon moi la vraie nouvelle : le français continue de progresser. Les nouvelles données de l’Observatoire de la langue française (OLF) montrent que le nombre de francophones est passé de 275 à 300 millions et que les scénarios optimistes sur 50 ans — entre 477 et 747 millions de locuteurs d’ici 2070 — ne sont pas une lubie d’exaltés.
Les données actuelles se basent sur des recensements ou des études statistiques sérieuses, selon Alexandre Wolff, le responsable de l’Observatoire. Et comme le Québec se fait une grande spécialité des études démo-linguistiques, c’est l’équipe du sociologue Richard Marcoux, de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (Université Laval), qui épluche les données pays par pays.
Les 300 millions de francophones appartiennent à deux groupes distincts. Le plus important, c’est bien sûr les 235 millions qui grandissent et vivent en français dans les 43 pays où le français est langue officielle ou langue d’enseignement. C’est ce groupe qui tire la charrette, avec une croissance de 11 %, dont 17 % en Afrique subsaharienne. « Yapa Foto », comme on dit au Japon.
On dénombre également 65 millions de francophones ailleurs. Une large part se trouve autour de la France et de la Belgique, mais il y a là-dedans des Américains, des Roumains, des Arméniens et d’autres encore. Ce groupe n’a pas beaucoup évolué, mais il n’a pas régressé non plus. « Mais il faut admettre que les données sont plus vagues. Les seuls indicateurs sérieux sont ceux d’Eurostat et des sondages eurobaromètres, qui sont basés sur l’autodéclaration », dit Alexandre Wolff.
Les données d’enseignement sont nettement plus précises. Ceux qui sont scolarisés en français représentent 81 millions de personnes. Mais ailleurs, 51 millions de personnes apprennent le français en tant que langue étrangère (FLE). Ici, la progression est de 8 % en quatre ans (sur 96 pays). Ce serait même plus s’il n’y avait pas quelques « trous » statistiques importants : on n’a pas tenu compte du Nigeria (1,4 million d’apprenants en 2014) en l’absence de données officielles pour 2018.
L’étude de l’OLF est volontairement prudente, et c’est particulièrement évident dans les analyses de progression de l’enseignement du « français langue étrangère » (FLE). Par exemple, on rapporte une baisse de 12 % du nombre d’apprenants FLE dans les Amériques. C’est parce que les auteurs de l’étude se sont bornés à ne comparer que les comparables de façon absolue (« en périmètre constant » dans le jargon). Au Brésil, le français a progressé au niveau primaire et au secondaire, mais il n’est pas inclus dans les données de progression parce que l’OLF n’avait pas les données du niveau supérieur qui auraient permis une comparaison juste avec 2014. Cela fausse forcément la statistique.
Il faut donc y regarder de près pays par pays. Au Costa Rica, seul pays latino-américain où le français est langue seconde obligatoire, on note une diminution au primaire, mais une hausse au secondaire. À Cuba, ça monte au supérieur, mais ça baisse au secondaire. Aux États-Unis, la hausse est soutenue, mais particulièrement dans l’enseignement précoce et l’immersion.
« On note quand même de vraies baisses dans les Amériques et en Asie qui signalent des difficultés dans l’enseignement du français », explique Alexandre Wolff, « Mais le portrait est globalement bon. »
Cela ressort nettement quand on considère le français dans l’espace économique et sur le Web, plus particulièrement. Les études de Maria Massoud sur l’importance économique de l’espace francophone (33 pays) ne laissent aucun doute sur la vitalité économique du français comme créateur de richesse, mais aussi comme critère d’employabilité. (Il faudra que je revienne là-dessus.)
Sur le Web, les études de Daniel Pimienta (Observatoire des langues et cultures sur Internet) et de Daniel Prado (ancien secrétaire général du Réseau mondial pour la diversité linguistique) disent la même chose. Quand on agrège l’ensemble des classements (selon le nombre d’internautes, le trafic, les usages, les contenus, l’indexation, les interfaces), le français tient une solide quatrième place avec 6,8 % du total contre 9,8 % pour l’espagnol, 10,4 % pour le chinois et 27,4 % pour l’anglais. « Mais c’est largement devant des langues comme l’arabe, l’allemand, le portugais ou le russe, précise Alexandre Wolff. Et cela montre en fait l’importance des locuteurs de langue seconde, très nombreux en français, pour qui l’expérience de la langue se fait beaucoup à travers ces médias. »
Bref, quel que soit l’angle considéré, les données statistiques convergent : le français continue de monter, n’en déplaise aux rabat-joie. À un sommet de la Francophonie « normal », c’est cela qu’on aurait dû célébrer.