Inquiets pour la confidentialité des informations personnelles des patients et des médecins, le Collège des médecins du Québec demande à ses membres de ne pas remplir le formulaire d’aide médicale à mourir (AMM) du gouvernement fédéral qui entre en vigueur jeudi.
Numéro d’assurance maladie et code postal du patient seront désormais requis, ainsi que plusieurs informations identifiant les médecins qui prodiguent ce soin de fin de vie.
« Le dévoilement de tels renseignements personnels est une atteinte à la vie privée », estime le président du Collège, Mauril Gaudreault.
Il craint aussi que le formulaire rende l’accès à l’AMM beaucoup plus difficile, en décourageant les médecins qui l’exercent. « Ça alourdit la paperasse administrative. Ce sont deux formulaires à remplir plutôt qu’un, vu que le Québec a sa propre loi et son propre formulaire depuis décembre 2015. »
Encadrement contraignant
Un avis partagé par le Dr Alain Naud, très impliqué dans le dossier de l’AMM au Québec. « C’est déjà un lourd fardeau émotionnel et professionnel de s’impliquer volontairement comme médecin. Ajouter un fardeau administratif de plus est inutile. »
Il s’interroge entre autres sur la pertinence des questions posées. « Le fédéral nous demande par exemple si le patient recevait un supplément de revenu du fait de ses incapacités. Je serai mal à l’aise d’y répondre, ce n’est pas d’ordre médical », s’offusque le médecin.
Selon lui, le gouvernement Trudeau arrive en retard avec ce nouvel « encadrement contraignant », dont le but est essentiellement de tenir des statistiques sur le sujet.
À compter de jeudi, le règlement fédéral sur la surveillance de l’AMM entre en vigueur et oblige tous les médecins du pays à remplir un formulaire en ligne. Ceux qui ne s’y plieraient pas risquent jusqu’à deux ans de prison. Une pénalité jugée « abusive et irrespectueuse » par le Collège.
« On a décriminalisé l’AMM, mais on veut criminaliser le fait de ne pas remettre à temps un formulaire. Quelle logique ! » ajoute le Dr Naud.
Au Québec, l’AMM est déjà prodiguée depuis plusieurs années et la loi oblige déjà les médecins à remplir un formulaire — ne demandant aucun renseignement sur l’identité du médecin ou du patient, excepté sa date de naissance.
Le Collège espère que Santé Canada et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec s’entendront au plus vite sur un formulaire unique « fonctionnel et respectueux de la confidentialité des renseignements personnels ». Des discussions sont d’ailleurs en cours, précise M. Gaudreault. « Je reste confiant, ils vont trouver une entente dans les prochaines semaines. En fait, je n’ose pas envisager ce qui arrivera sinon. »
Plancher sur une nouvelle déclaration serait aussi l’occasion de mettre à jour le formulaire provincial, qui fait l’objet de plusieurs critiques. « Les questions sont floues, redondantes, on ne sait pas toujours quoi répondre. Ça peut prendre jusqu’à deux heures pour tout remplir », témoigne le Dr Naud.
Incohérence des lois
La question du formulaire n’est qu’un symptôme supplémentaire de l’incohérence de la situation vécue au Québec, où deux lois sur l’AMM coexistent : la provinciale, adoptée en 2014, et la fédérale, adoptée en 2016.
Le principal problème ? Les critères d’admissibilité diffèrent d’une loi à l’autre, empêchant « injustement » des patients d’y accéder. « Il y a des malades laissés pour compte, car ils ne correspondent pas aux critères, explique le Dr Naud. Certains vont mourir en Suisse, d’autres vont jusqu’au suicide. »
Une patiente d’Halifax souffrant d’un cancer en phase terminale, Audrey Parker, a pour sa part dû planifier plus tôt que prévu son recours à l’AMM, prévu jeudi. Selon la loi, toute personne demandant cette aide doit être consciente et saine d’esprit au moment de l’injection létale. Une exigence que la femme de 57 ans pourrait ne pas remplir d’ici peu si elle devenait subitement incapable de parler, en raison de la progression du cancer ou des effets des médicaments.
De l’avis du Dr Naud, tant le Québec que le Canada devraient revoir leur loi pour mieux l’adapter à la réalité. Le fédéral devrait aussi demander l’avis de la Cour suprême sur sa loi, afin de s’assurer de sa validité.
Avec La Presse canadienne