J’aurais bien aimé enseigner l’histoire du Québec au secondaire ou au collégial. Je n’aurais pas hésité, pour stimuler l’intérêt des jeunes, à me faire conteur et à emprunter la veine épique. Une histoire nationale, bien mise en narration, est toujours une épopée, et je connais peu de gens qui résistent à un bon récit.
Pour captiver mes élèves, j’aurais pigé sans vergogne dans la trame nationale politique, dans les bons travaux d’histoire sociale, et je n’aurais pas hésité à élever quelques monuments aux héros de notre aventure, tout en esquintant au passage les zéros du passé.
Par souci d’objectivité, et parce que la controverse fait partie de la nature de l’histoire, j’aurais privilégié un enseignement axé sur les débats historiographiques. Pour parler de la Conquête, j’aurais convoqué Guy Frégault, pour qui elle fut une catastrophe, et Marcel Trudel, pour qui elle eut « aussi ses avantages ». Nous aurions eu du plaisir.
Des controverses
Dans la réalité, j’aurais immanquablement rencontré des obstacles. Une chose est certaine : mon enseignement aurait été contesté. L’histoire, à l’école, l’est toujours. On l’accuse d’être trop nationaliste ou de ne pas l’être assez ; d’aucuns lui reprochent de trop insister sur la transmission d’un récit en négligeant l’initiation à la méthode historique ; d’autres affirment au contraire qu’elle n’insiste pas assez sur les grands événements et sur les personnages célèbres pour plutôt perdre son temps avec des compétences vaseuses. On ne s’en sort pas : à l’école, l’histoire n’est jamais à la hauteur.
Qu’en est-il vraiment ? Dans Matière à mémoire (M éditeur, 2018, 128 pages), Alexandre Lanoix, didacticien en histoire, a voulu explorer ce nid de controverses en questionnant ceux et celles qui, contrairement à moi, ne se contentent pas de rêver d’enseigner l’histoire du Québec au secondaire, mais le font vraiment. Bonne idée.
Pour ce faire, le chercheur a constitué un échantillon d’une quarantaine d’enseignants et d’enseignantes. Pour les désigner sans discrimination, l’éditeur a choisi d’utiliser le pronom « iels » (pour ils et elles). Ce n’est pas très élégant et ça perturbe la lecture.
Selon l’historien François Audigier, l’enseignement de l’histoire répond à trois types de finalités. Il vise, dans un souci patrimonial et culturel, à transmettre un passé commun auquel adhéreraient les élèves ; il souhaite, dans une visée critique, initier les élèves à la méthode historique ; il s’attache, enfin, à l’utilité, au présent, des savoirs historiques.
La finalité pratique, qui consiste à « mieux comprendre la société actuelle à l’aide du passé », fait plutôt consensus. Ce sont les deux autres qui font débat. Quel patrimoine faut-il transmettre ? Doit-on faire assimiler un récit national (connaissances) ou plutôt insister sur l’acquisition de la méthode historique (compétences) ?
La nation sans le nationalisme
Les entrevues et consultations réalisées par Lanoix permettent de faire ressortir certaines tendances fortement majoritaires dans l’enseignement du programme Histoire du Québec et du Canada en 3e et 4e secondaires.
La matière enseignée, note d’abord Lanoix, est « résolument située et ancrée dans la mémoire québécoise ». Les enseignants rejettent systématiquement toute forme de propagande, disent présenter les « deux côtés de l’histoire » et tiennent à distinguer l’attachement à la nation de « l’adhésion à l’option politique de la souveraineté ». La nation, pour eux, toutefois, c’est le Québec, envers lequel ils souhaitent susciter un attachement critique. Par conséquent, note Lanoix, « la crainte de voir les enseignants d’histoire du Québec délaisser l’identification à la nation dans leur représentation sociale et dans leur pratique ne m’apparaît pas fondée ».
Le didacticien constate aussi que le souci de transmettre une culture historique générale aux élèves demeure plus important, aux yeux des enseignants, que celui d’initier les jeunes aux méthodes de la pensée historique. Le Renouveau pédagogique n’a pas, en d’autres termes, changé grand-chose aux cours d’histoire du secondaire, même s’il exerce une influence par l’examen final de 4e secondaire, axé sur les compétences, auquel il faut bien préparer les élèves.
On peut se réjouir de cette résistance des enseignants à la fameuse réforme, si on considère que le but de l’enseignement de l’histoire aux jeunes n’est pas d’en faire des historiens, mais des citoyens au fait du passé de leur nation. Lanoix, pour sa part, continue d’espérer un enseignement qui reposerait sur un équilibre entre la transmission d’un savoir patrimonial et l’initiation à la méthode historique.
Le didacticien partage sûrement aussi mon espoir : qu’il y ait, tout simplement, plus d’histoire à l’école et qu’on impose enfin un cours d’histoire du Québec obligatoire au collégial.
Alexandre Lanoix sera au Salon du livre de Montréal le 17 novembre.