Les grands sommets diplomatiques sont souvent des moments d’hypocrisie, de divisions cachées, de discours vides, ou encore d’envolées émouvantes mais sans grands effets, au-delà de l’exaltation temporaire de la mémoire. Mais ces réunions peuvent également être symboliques et révélatrices.
Hier, plus de 70 chefs d’État et de gouvernement se sont rassemblés à Paris, au coeur de cette magnifique capitale paradoxalement épargnée par les destructions, pour le centenaire de l’armistice de novembre 1918.
Au pied de l’Arc de triomphe, dans une mise en scène révisée dans ses moindres détails par Emmanuel Macron, des étudiants au verbe éloquent ont lu des lettres, des témoignages de soldats et de témoins directs de cet épouvantable épisode. On a joué Maurice Ravel (volontaire à Verdun en 1916) et son obsédant Boléro de 1928, qui se termine par un effroyable fracas. Mais aussi, par deux fois, on a donné La Marseillaise… tout en dénonçant le nationalisme.
En conclusion, le discours du président français, Emmanuel Macron, a combiné l’hommage aux sacrifiés de la folie de 14-18 à un message politique très « XXIe siècle », très appuyé, adressé à ceux qui, dans l’assistance, l’écoutaient… ou faisaient semblant de l’écouter : Trump, Merkel, Poutine, Erdogan, pour n’en nommer que quelques-uns…
La chancelière allemande, Angela Merkel, était, elle, attentive : ces derniers jours, en tandem avec Macron sur les chemins de 14-18, elle a joué parfaitement la partition des deux nations réconciliées. Mais le milliardaire-président, lui, avait l’air absent, ennuyé et à vrai dire assez peu concerné.
Le Français a tenté de mettre en avant ce que l’on pourrait appeler une « voie Macron », favorable au multilatéralisme, au libre-échange et à une Union européenne intégrée, en opposition à la « voie Trump » (d’ailleurs autobaptisée « nationaliste » par son auteur, il y a deux semaines).
Pour M. Macron, donneur de leçons historiques, c’est aujourd’hui l’ouverture contre « la fascination pour le repli, la violence et la domination ». C’est le multilatéralisme contre l’isolationnisme et le chacun-pour-soi. Le « patriotisme » — pour reprendre la distinction subtile avancée par le président — contre le « nationalisme ». L’amour de la patrie « correct », qui ne hait pas l’Autre et veut coopérer avec lui, contre l’amour de la patrie « incorrect »… qui mène à la guerre.
Sept mois avant les élections européennes de 2019, alors que flotte selon lui, sur le Vieux Continent, « un parfum des années 1930 », M. Macron veut clairement se présenter comme le héraut des « progressistes libéraux » et comme l’adversaire des « nationalistes » qui, de Moscou à Istanbul, en passant par Rome et Budapest, ont le vent en poupe.
Mais dans une Europe de plus en plus fracturée, la principale alliée de M. Macron, la chancelière Merkel, est déjà sur la voie de sortie. L’un des grands échecs, d’ores et déjà, de la présidence Macron, c’est précisément — malgré cette belle et émouvante chorégraphie du Centenaire — la non-reconstitution d’un véritable couple franco-allemand pour relancer l’Europe.
Berlin, par exemple, n’a jamais voulu suivre Paris sur la solidarité budgétaire de l’Union. Mme Merkel, la femme du « Wir schaffen das ! » en 2015 (« Nous pouvons accueillir et intégrer les migrants »), se voit aujourd’hui forcée de battre en retraite et de quitter progressivement la scène, alors que le ressac antimigrants est fort en Allemagne.
Et lorsque M. Macron fait la leçon aux dirigeants italiens sur l’ouverture aux migrants, il est assez mal placé, vu que l’Italie en a accueilli bien davantage au cours des quatre dernières années, et que la France, sur ce thème, ne joint pas le geste à la parole moraliste.
Hier, pendant l’éloquent discours de M. Macron et les bouleversantes évocations de 1918 par des jeunes, c’était — dans cet auditoire de super-V.I.P. — un beau festival de silences hypocrites. Et pour une fois, les Femen, seins nus sur les Champs-Élysées, tapaient juste :
« Trump travaille-t-il pour la paix lorsqu’il fait fi des traités internationaux ? Poutine travaille-t-il pour la paix en Syrie lorsqu’il défend le dictateur Bachar al-Assad ? Erdogan travaille-t-il pour la paix quand il perpétue le démenti du génocide arménien et continue d’attaquer les Kurdes ? Nétanyahou travaille-t-il pour la paix lors du bombardement de Gaza ? »