En septembre 2016, Gaétan Barrette avait piqué une (autre) crise contre son homologue fédérale, Jane Philpott, qui menaçait de pénaliser le Québec de 80 millions par année en raison des frais accessoires que les médecins facturaient aux patients, ce qui allait à l’encontre de la Loi canadienne sur la santé.
« Un jeu politique indécent », s’était indigné le bouillant ministre de la Santé. Après avoir menacé de s’adresser aux tribunaux, il avait néanmoins obtempéré quatre mois plus tard en abolissant les frais accessoires, qu’il ne voulait précédemment qu’« encadrer ». Que certains aient trouvé le moyen de contourner cette abolition est une autre histoire.
À Québec comme à Ottawa, les titulaires de la Santé ont changé, mais la loi est toujours la même. Cette fois-ci, le Québec risque d’être pénalisé à cause des examens médicaux normalement couverts par la Régie de l’assurance maladie que les cliniques privées facturent directement au patient.
Dans une lettre adressée à M. Barrette en août dernier, la ministre fédérale, Ginette Petitpas Taylor, indiquait qu’elle n’entendait plus tolérer cette pratique à compter du 1er avril 2020. En vertu de la loi, l’accès aux soins doit être « fondé sur le besoin de santé et non sur la capacité de payer ou non », rappelait-elle. Ottawa ne voit pas d’objection à ce que les cliniques privées fassent des examens, à la condition que les frais soient assumés par la RAMQ.
Sa nouvelle vis-à-vis québécoise, Danielle McCann, n’a pas un tempérament aussi belliqueux que son prédécesseur, mais sa position est la même : Ottawa n’a pas à dire au Québec ce qu’il doit faire dans un domaine qui relève de sa compétence.
Mme McCann a parfaitement raison. D’ailleurs, le gouvernement fédéral n’interdit pas le recours au privé, pas plus qu’il n’interdisait les frais accessoires. Il décide simplement de réduire sa contribution financière, comme il en a parfaitement le droit.
Aux yeux de plusieurs, le « pouvoir de dépenser » dont il dispose peut sembler un concept abstrait, mais en voilà une illustration on ne peut plus concrète. Même si ce pouvoir n’est ni reconnu ni balisé par la Constitution, il lui permet d’imposer ses normes et ses objectifs aux provinces, dont les moyens sont toujours inférieurs aux besoins. Toutes les tentatives d’y mettre fin ou simplement de l’encadrer ont échoué.
Sans surprise, c’est le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau qui a fait adopter la Loi canadienne sur la santé en 1984. Il est vrai qu’elle se voulait une réaction à la surfacturation et aux différentes formes de tickets modérateurs, qui tendaient à se multiplier, mais elle traduisait aussi la conception centralisatrice du fédéralisme qu’avait M. Trudeau.
Tous ses successeurs ne l’ont pas invoqué avec un égal empressement. Les frais accessoires existaient depuis longtemps quand Ottawa a décidé d’intervenir. L’actuel premier ministre a manifestement décidé de marcher sur les traces de son père.
Si la Loi canadienne sur la santé permet au gouvernement fédéral d’empiéter sur un champ de compétence provinciale grâce à son pouvoir de dépenser, les principes de gratuité et d’universalité qui la sous-tendent correspondent néanmoins à ce que défendent les progressistes québécois, y compris de nombreux souverainistes.
En 2016, c’est en collaboration avec le Regroupement des médecins omnipraticiens engagés, le Conseil québécois pour les médecins de famille et les Médecins québécois pour le régime public que l’Association médicale du Québec avait réclamé l’intervention d’Ottawa pour mettre fin aux frais accessoires.
Faire payer des examens aux patients constitue également une forme de « médecine à deux vitesses » qui va directement à l’encontre des objectifs fixés lors de la création du régime d’assurance maladie.
Il semble aller de soi qu’un gouvernement dont la marque de commerce est l’autonomie entende défendre les compétences du Québec contre les intrusions d’Ottawa, même si François Legault est maintenant un fier Canadien.
Si la CAQ n’a pas repris publiquement à son compte les objectifs de privatisation de la défunte ADQ et qu’un idéologue de droite comme Youri Chassin a été écarté lors de la formation du Conseil des ministres, plusieurs soupçonnent néanmoins le nouveau gouvernement de vouloir faire une plus grande place au privé dans le domaine de la santé.
Il est vrai que le modèle défendu par la Loi canadienne sur la santé constitue plutôt l’exception que la règle dans le monde occidental, où le public et le privé coexistent à l’intérieur d’un système souvent plus performant.
Jusqu’à nouvel ordre, le réseau universel et gratuit hérité de la Révolution tranquille demeure le choix collectif des Québécois. La défense de l’autonomie au sein de la fédération ne doit pas devenir un prétexte pour le remettre en question. Il n’est pas nécessairement mauvais simplement parce que le Canada le préfère aussi.