Le contact avec la beauté et l’énergie des œuvres est un appel d’air pour conjurer ses peurs, panser ses plaies et garder le moral.
De fait, on entend beaucoup parler des vertus curatives de l’art par les temps qui courent. Ainsi dans Le Devoir cette semaine, une étude du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et du Centre d’excellence sur la longévité de l’Hôpital général juif auprès de participants d’ateliers hebdomadaires d’arts visuels au MBAM démontrait une amélioration de l’état de santé de 27 % d’entre eux. Ce même musée s’était associé avec les membres de Médecins francophones du Canada pour un projet de « prescriptions muséales », qui a débuté le 1er novembre. Ça vaut bien des cures.
Les artistes eux-mêmes trouvent dans la création, sinon le remède à leurs maux physiques, du moins un baume pour l’esprit et peut-être le corps, sur de mystérieux transferts psychochimiques.
Prenez le musicien Robert Marcel Lepage, aux nombreux albums, qui composa la musique de plus de 200 films, dont ceux de Bernard Émond, de Catherine Martin, de Jean Beaudry, et dernièrement la trame sonore d’Emma Peeters de Nicole Palo avec Monia Chokri.
Le savais-je au départ malade ? Non, même si je le croise parfois. « Ce ne sont pas des choses dont on parle ainsi, déclare-t-il au bout du fil. Mais je m’en tire bien. Pas de récidive pour l’instant. »
Son journal graphique Je est un hôte, en référence au « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud, lancé aux Éditions La Mauvaise Tête, m’aura tout raconté à sa place. À travers ses traits et ses mots, j’avais suivi l’au-jour-le jour de ses démêlés avec un cancer colorectal et des remparts intérieurs érigés contre lui.
Son chirurgien, Frank Schwenter, également violoncelliste de concert, ne lui aura pas prescrit de visites au musée, mais, lorgnant un jour par-dessus son épaule le carnet de dessins qu’il traîne partout, il lui conseilla plutôt de faire un album sur son expérience, dans le but de réaliser un projet commun.
Ainsi, dimanche prochain, à 15 h 30, ils présentent à l’École de musique Vincent-d’Indy l’événement-bénéfice Espoir Art au profit de la Fondation du CHUM pour le traitement du cancer colorectal. Frank Schwenter à la musique, Robert M. Lepage exposant plusieurs dessins de Je est un hôte.
« Chacun avec son violon d’Ingres », précise le compositeur-dessinateur. On veut amasser des fonds, mais surtout célébrer une rencontre artistique. « Nous nous retrouverons sur un autre territoire que la maladie », lui avait assuré son médecin.
« Je ne suis pas qu’un malade, mais aussi un artiste », lance en manifeste Robert M. Lepage, évoquant la déshumanisation du milieu hospitalier, prompt à réduire des hommes et des femmes au rôle de patients sans essence. « On dit souvent que l’art est l’âme du Québec, mais il y en a si peu dans les hôpitaux : quelques œuvres aux murs, pas de salles de concert avec un piano. Tant de choses restent à faire… »
Feuilles en cascade
Dessinant chaque jour depuis une dizaine d’années, Robert M. Lepage avait déjà publié des bédés : Le nerf initiatique, Le piano de neige. Dans Je est un hôte, l’auteur face au cancer carbure à la lecture, à la contemplation de la nature, à la méditation, à la musique bientôt mise en sourdine, car porteuse d’émotions trop fortes, à ses croquis, à la tristesse qui va et vient, à sa lucidité mâtinée d’humour. Cet autre lui-même, le malade, il le porte au besoin — un double bien lourd.
Ses dessins esquissés dans le métro, les salles d’attente, les parcs, durant un an et demi, sont des improvisations. Il ne recherche pas le trait parfait, se met souvent en scène, multiplie des citations des philosophes, échos à ses propres pensées, ajoute des images oniriques aux croquis du quotidien. Les feuilles des arbres aux contours fluides et fragiles (« comme des plumes », précise-t-il) parlent autant que les mots, les siens, ceux de Sénèque, de Heidegger, de Lao Tseu… « Les motifs de feuilles en cascade me rappellent des arpèges, confesse-t-il. Je dois être un genre de Philip Glass de l’illustration. Le dessin est en conjonction avec la musique sur un mode silencieux, plus libre. »
« Dans la maladie, je me suis retrouvé avec beaucoup de temps à moi, ajoute Robert M. Lepage. Faire de la méditation soulève des questions. Le grand philosophe Bertrand Russell parlait de spiritualité laïque. Pourquoi ne pas explorer ces zones-là ? L’art est très lié à l’âme, à l’énergie qu’on émet. Il aide à récupérer. »
Son cheminement de souffrance et de lumière est partagé par d’autres. Les artistes sont sans doute les mieux placés pour comprendre à quel point la création, mais aussi le contact avec la beauté et les propos de sagesse, ouvre des voies d’accès aux forces intérieures d’un malade. Les chirurgiens violoncellistes le comprennent aussi.