Cet automne, deux pièces m’ont fait songer : « Tiens ! On a évolué, mine de rien, côté inclusion des minorités ethniques dans la famille théâtrale… » J’y voyais un début plutôt qu’un fil d’arrivée, mais des cloisons bougeaient devant mes yeux.
Ça se passait au Quat’Sous, devant Chapitres de la chute de Stefano Massini, brillante saga capitaliste mise en scène par Marc Beaupré et Catherine Vidal. Six comédiens, issus ou pas de la diversité, Didier Lucien, Igor Ovadis, Louise Cardinal, Vincent Côté, Catherine Larochelle et Olivia Palacci, se partageaient l’ensemble des rôles : tour à tour maîtres, esclaves et valets, hommes et femmes, jeunes et vieux.
Didier Lucien, si talentueux, est l’un des rares acteurs noirs à travailler au Québec. Et encore, pas si souvent. Mais le voir incarner l’épouse blanche d’un grand financier avait quelque chose de réjouissant. Magie du théâtre ! On y croyait, autant qu’à la partition des jeunes comédiennes transformées en riches banquiers sur le retour.
Même réflexion devant Centre d’achats d’Emmanuelle Jimenez, mise en scène par Michel-Maxime Legault au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. La toute jeune Tracy Marcelin, Afro-Québécoise, y joue la fille d’une Montréalaise blanche pure laine qui magasine sa robe de bal de fin d’études avant de renoncer aux joies de la consommation. On se dit d’abord : « Tiens ! Sa peau est noire ! » Ensuite : « Bonne idée ! » Puis : « Elle a de la présence, cette fille-là ! » Plus la pièce prend du souffle, mieux son personnage s’insère au choeur féminin.
Les happenings éclatés des années 1970 revendiquaient déjà la dissolution des genres et des origines, remarquez, mais le phénomène pénètre d’autres couches théâtrales. Des metteurs en scène allumés cassent de plus en plus la tyrannie de l’adéquation entre interprète et personnage. Ça donne des résultats bigarrés, toniques, très modernes.
J’entends déjà protester : Hep ! Robert Lepage s’est fait reprocher la représentation des Noirs et des Autochtones par des comédiens caucasiens dans SLĀV et Kanata. Pourquoi devrait-on alors applaudir lorsque des Noirs jouent des Blancs ? On leur dépeindra des minorités sous-représentées dans notre espace culturel, avec une histoire volée racontée par les vainqueurs, mais faut-il repartir la controverse estivale ? Tout a été dit et son contraire : cris à la censure s’opposant aux sympathies envers les revendications des minorités, population divisée mais lancée dans un rare débat public. Le milieu théâtral y aura trouvé matière à réflexion, côté jardin et côté cour.
Rapport et questionnements
Les recommandations de l’organisme Diversité artistique Montréal (DAM) cette semaine tombaient dans un champ déjà en partie labouré. L’idée d’établir des quotas faisait peur. Le milieu culturel privilégie avec raison des pistes moins contraignantes.
Et puis, à chaque secteur ses entraves. Le pouvoir suggestif du théâtre, capable de figurer un château avec trois créneaux esquissés sur une toile de jute, est tel que la couleur de peau des comédiens peut nourrir la machine à illusions. Le cinéma se colle davantage aux codes du réalisme. Reste que les séries télé offrent des modèles plus diversifiés que les films, à moins que le sort des minorités soit au centre d’une proposition cinématographique.
Préjugés ancrés, rôles stéréotypés : 55 personnes interrogées faisaient état de discriminations diverses dans ce rapport. Rien du portrait exhaustif d’un racisme systémique au Québec, mais plusieurs pistes de solutions à prendre ou à laisser.
Multiplier les contraintes pour les institutions et les scénaristes ne paraît pas l’idée du siècle. Ceux-ci ont déjà tant de paramètres à respecter. Prenons ça comme une invitation à nous éloigner des clichés et des exclusions.
Car, bousculée ou pas, la sous-représentation artistique des minorités visibles saute toujours aux yeux. L’entortillement de chaque communauté culturelle sur sa tige ne crée pas de liens, plutôt un lot de malentendus.
Longtemps, les Québécois n’auront adopté comme figures artistiques de diversité que Normand Brathwaite et Gregory Charles… Aujourd’hui, le climat de tension face à l’immigration engendre de nouvelles crispations.
Quand même, ça commence à bouger. On le voit au théâtre et à la télé, on l’entend dans la bouche des dirigeants culturels. Nul besoin de quotas pour entrer au XXIe siècle, juste d’ouverture d’esprit, de volonté et d’imagination. L’art pour respirer réclame les vents du large et beaucoup d’apports extérieurs. Toute une relève artistique le comprend et le tourbillon multicolore rafraîchissant provient de la cour des jeunes. Voyons-y une promesse d’avenir.