Après avoir crié au loup pendant des années, disant même craindre que ses petits-enfants ne parlent plus le français, le premier ministre François Legault ne pouvait pas se raviser et conclure soudainement que la pénurie de main-d’oeuvre justifiait le maintien, voire l’augmentation, des seuils d’immigration actuels. Il aurait perdu toute crédibilité.
Il est cependant évident que les impératifs de l’économie nécessiteront, plus tôt que tard, un retour à un niveau plus élevé. M. Legault ne cesse de répéter que la création de la richesse est insuffisante au Québec, il devra être conséquent.
Au-delà des slogans comme « En prendre moins mais en prendre soin », la question est de savoir dans quelle mesure un gouvernement de la CAQ réussira à renforcer suffisamment la capacité d’intégration de la société québécoise pour qu’elle soit en mesure d’accueillir les nouveaux arrivants tout en conservant l’essentiel de son identité.
La gravité de la situation et l’inanité des programmes actuels ont été très bien documentées par la vérificatrice générale dans son rapport de 2017 : taux de succès risible chez le peu d’immigrants qui se donnent la peine de suivre des cours de français, ressources insuffisantes, encadrement déficient des innombrables organismes chargés de la francisation, etc.
Il paraît tout aussi anormal que le gouvernement offre deux programmes de francisation totalement distincts, voire concurrents, l’un géré par le ministère de l’Immigration, l’autre par le ministère de l’Éducation, qui s’arrachent les ressources disponibles. On se demande encore pourquoi les centres d’orientation en francisation des immigrants (COFI), qui avaient fait leurs preuves, ont été abolis.
Si la vérificatrice générale est en mesure d’évaluer l’efficacité des politiques gouvernementales, on ne peut pas lui déléguer la responsabilité de fixer les seuils d’immigration, comme le proposait le PQ. Il ne s’agit pas d’une simple question d’administration, mais plutôt d’une décision de nature politique, qui doit notamment être basée sur l’appréciation du niveau d’acceptabilité sociale et ne peut relever que des élus.
La capacité d’intégrer est d’ailleurs bien plus qu’une affaire de programmes et de ressources. Dans le rapport qu’elle avait publié en novembre 2016 sous le titre Une langue commune à tous et pour tous. Mieux réussir la francisation des néo-Québécois, la députée caquiste d’Iberville, Claire Samson, avait insisté sur la nécessité d’envoyer un message fort. Il doit être clair aux yeux de tous qu’il est indispensable d’apprendre le français pour vivre au Québec.
Elle proposait notamment de remplacer l’actuel ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion par un nouveau ministère de l’Immigration et de la Francisation qui donnerait « un signal fort pour montrer l’importance accordée à l’enjeu de la francisation ». En formant son cabinet, M. Legault a préféré s’en tenir à la dénomination imaginée par les libéraux, plus politiquement correcte.
Le rapport recommandait également l’adoption d’une nouvelle politique nationale de francisation qui constituerait « un énoncé solennel établissant la responsabilité fondamentale de l’État québécois en matière de francisation » et deviendrait « une pièce législative fondatrice », au même titre que la Charte de la langue française. Le premier ministre n’a pas davantage cru bon de retenir cette recommandation dans son discours d’ouverture.
En décidant de rester au sein de la fédération canadienne, les Québécois ont fait le pari qu’il était possible d’y assurer la pérennité d’une société de langue française, même si l’État fédéral fait ouvertement la promotion du bilinguisme, qui est indéniablement florissant au Québec alors qu’il est battu en brèche dans le reste du pays.
À moins que ce pari soit en réalité une démission, cela suppose une volonté collective d’imposer les règles du jeu linguistique qui ne se manifeste pas toujours aussi fermement qu’on pourrait le souhaiter, qu’il s’agisse de l’État ou de la société civile.
Il est clair que le Québec n’est pas en mesure d’intégrer à la majorité francophone un pourcentage d’immigrants équivalent à son poids démographique au Canada. La décision du gouvernement Legault d’abaisser les seuils d’immigration, que cela plaise à Ottawa ou non, constitue une prise en compte de la fragilité identitaire de la société québécoise qui est certainement la bienvenue après les années d’inconscience libérale.
Cela demeure cependant insuffisant. Le discours d’ouverture était muet sur les mesures de francisation des entreprises de 26 à 49 employés dans la communauté métropolitaine de Montréal. Comment peut-on penser qu’elles vont franciser les nouveaux arrivants qu’elles vont embaucher si le français n’y est déjà pas la langue de travail ?
Que des organismes relevant de l’État québécois continuent de s’adresser en anglais aux allophones de la région montréalaise, plus de 40 ans après l’adoption de la loi 101, demeure une absurde énigme. Quand même Hydro-Québec envoie des factures uniquement en anglais à 400 000 consommateurs, c’est qu’il y a un sérieux problème.