Accusé d’être plus à l’écoute des lobbys privés que préoccupé de la santé des Canadiens, le gouvernement Trudeau fait preuve d’un manque de leadership en retardant sans cesse le dévoilement de politiques alimentaires cruciales pour combattre la malbouffe et l’obésité.
C’est du moins ce que déplore une coalition de quelque 80 organismes de santé, environnementaux et de lutte contre la faim, regroupés sous le nom de Réseau pour une alimentation durable (RAD) qui s’inquiète des manoeuvres exercées par l’industrie pour mettre des bâtons dans les roues de plusieurs politiques promises par les libéraux, constamment retardées.
Le Devoir révélait en novembre que de nombreux lobbys du secteur privé ont multiplié les rencontres avec des représentants du gouvernement ces derniers mois pour faire échec au projet de loi S-228 destiné à interdire le marketing direct de la malbouffe auprès des enfants. Le projet est bloqué au Sénat, où il pourrait mourir au feuilleton.
En plus des géants d’Internet (Google, Facebook, Amazon, etc.) et de la publicité, des associations représentant le secteur des boissons, des restos minute et de la transformation en ont aussi contre l’étiquetage obligatoire proposé pour clarifier la quantité des sucres et des gras dans les aliments, ainsi que contre une nouvelle mouture du Guide alimentaire canadien prônant de meilleures habitudes alimentaires.
« Ces lobbys réagissent de façon virulente. Ça ne vise même pas à taxer ces aliments, ni à faire une révolution. Ça vise juste à se tourner vers une alimentation plus constructive pour les jeunes », affirme Diana Bronson, directrice générale de RAD.
Attendu depuis des mois, le dévoilement du nouveau Guide alimentaire canadien se fait toujours attendre. L’échéance électorale jouerait dans la frilosité du gouvernement à se mettre à dos une partie de l’industrie.
Mme Bronson affirme qu’une bataille rangée se joue au sein même du gouvernement entre le ministère de la Santé et celui de l’Agriculture, plus sensible aux enjeux économiques. Devant ce combat de coqs, elle appelle le premier ministre à trancher.
« Le gouvernement est pris dans un étau. C’est au premier ministre de faire preuve de leadership si on veut accroître l’accès à une alimentation saine », dit-elle.
Le NPD en rogne
Le gouvernement Trudeau s’attire aussi les critiques du Nouveau Parti démocratique, qui déplore son peu d’élan à concrétiser des politiques promises pourtant dès 2015.
« Nous avons appuyé S-228 sans réserve et maintenant ce projet semble sur une tablette. Que fait le gouvernement Trudeau ? Qui influence l’ordre du jour au Sénat ? En Chambre, les libéraux n’avaient que de belles paroles [pour ces projets], mais où sont les gestes ? » déplore la députée de Saint-Hyacinthe–Bagot, Brigitte Sansoucy, porte-parole du NPD en matière de famille, d’enfance et de développement social.
« Le gouvernement Trudeau est pro-industrie, que ce soit avec l’alimentation ou le pétrole. C’est clair que le premier cercle autour du premier ministre, c’est celui des ministères économiques. Les autres ont du mal à faire prioriser leurs dossiers », croit la députée.
Le secteur privé diabolise le projet de loi S-228, un projet qui ne vise pourtant qu’à doter le reste du Canada des mêmes mesures que celles qui encadrent déjà la publicité faite aux enfants depuis trente ans au Québec, affirme la néodémocrate.
Selon Diana Bronson, il est déplorable que plusieurs industries et entreprises s’opposent aussi ouvertement à ces projets destinés à améliorer la santé des populations, notamment celles des enfants.
« La malbouffe est au coeur des problèmes de notre système de santé, qui croule sous le fardeau de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires, juge-t-elle. Il semble que les intérêts économiques passent avant les impératifs de santé. »
Dans une réponse adressée par écrit au Devoir, Santé Canada dit prévoir de dévoiler le nouveau guide alimentaire canadien au début de 2019. « Le gouvernement du Canada appuie fermement le projet de loi S-228 et s’engage à le faire adopter et à le mettre en vigueur », a indiqué par écrit un porte-parole du ministère.