Dimanche dernier, je suis allée écouter le concert de Noël des Petits Chanteurs du Mont-Royal et de l’organiste Vincent Boucher à l’oratoire Saint-Joseph. C’est l’époque de l’année où je me pointe souvent dans les églises, sous un clocher ou l’autre, pour le chant, les instruments, le décor baroque.
Ce n’était pas la meilleure prestation des Petits Chanteurs. Un manque de cohésion d’ensemble et de justesse vocale cassait souvent l’harmonie. Lors des morceaux en duo, l’orgue enterrait parfois leur choeur habituellement a cappella. La formation retrouvait son unité pour certains cantiques, mais je me suis bientôt concentrée en parallèle sur l’audience.
Toute une faune disparate s’assemble devant les concerts de l’avent, avec un gouffre entre ceux qui connaissent les codes liés au genre musical comme au répertoire religieux et ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Ça crée de drôles d’étincelles.
On n’ira surtout pas reprocher à ces spectacles d’initier des foules à des types de musique qu’elles n’écoutent guère en boucle, mais le mélange du public éclaire aussi des fractures de société.
Passe encore pour ce bébé hurleur que les parents ne songeaient guère à aller bercer ailleurs. Aveugle à mon noir regard, la famille dernière moi parlait sans relâche, ignorant de toute évidence la consigne du silence au cours des concerts.
Une jeune fille lança à ses parents, après audition du Minuit, chrétiens : « Elle était l’fun, cette toune-là ! » Drôle !
Plus loin, un homme âgé expliquait à ses voisins que bien des Québécois choisissaient jadis leur église pour la messe de minuit en fonction du ténor de renom chargé d’entonner le cantique en question. Deux mondes…
De quoi se gratter la tête : ce Minuit, chrétiens, qu’il nous assomme ou pas, ne fait-il pas partie d’un héritage culturel (sans négliger tous les autres) ; son « heure solennelle » époumonée à pleines radios de décembre et jusque sous la lyre du métro quand le chanteur a de la voix ? Moins connue qu’elle n’y paraît, la toune…
L’éducation musicale est pleine de trous. L’école a sabré tant de cours de solfège. Un apprentissage au civisme ne nuirait pas non plus.
Au cours du Festival Bach, fin novembre, au même oratoire, j’aurai vu l’organiste Mireille Lagacé haranguer au micro un spectateur qui prenait sa photo au flash aux côtés du violoncelliste Stéphane Tétreault : « C’est interdit ! » protesta-t-elle à raison.
Le 9 décembre dernier, à l’église Immaculée-Conception, durant le concert de l’Orchestre philharmonique et du Choeur des mélomanes, une dame filmait avec son téléphone juste sous le nez des solistes sans songer qu’elle pouvait les déranger. Pitié pour les musiciens !
Les Québécois ont laissé massivement tomber la religion catholique, débarrassés d’un joug et respirant mieux, avec effets pervers comme en toutes choses. Longtemps familiers de la grande musique, baignés par les accords de l’orgue et les chants des choeurs au fil des offices, plusieurs se sont coupés de répertoires classiques associés plus tard à une « culture d’élite ». Dommage !
L’OSM et d’autres grandes institutions musicales font tout pour séduire la clientèle perdue, en s’alliant de temps à autre des artistes populaires, comme Fred Pellerin. Reste que des formations laïques auraient dû mieux prendre le relais de l’Église depuis la rupture religieuse, histoire d’entretenir cette flamme musicale. En gros, les Québécois, au départ connaisseurs par la force des choses, n’auront guère passé le relais mélomane à leurs enfants. Aux excès du clergé, cette musique fut associée.
Faut pas désespérer ! D’autres voies, issues souvent du cinéma et d’écrans divers, réconcilient parfois le grand public avec ces répertoires. Le cinquantenaire du chef-d’oeuvre spatial de Stanley Kubrick 2001 : l’odyssée de l’espace fit découvrir à de nouvelles clientèles Le beau Danube bleu de Johann Strauss II. Nombreux sont les films à avoir démocratisé une musique dite « savante », des deux Fantasia de Disney au Pianiste de Polanski, en passant par La passion d’Augustine de la Québécoise Léa Pool, et tant d’autres.
En appel d’air aussi, des oeuvres néoclassiques, parfois virales après démarrage au grand écran. Ainsi la pianiste montréalaise Alexandra Stréliski, propulsée en 2013 par sa trame musicale du film Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée puis de sa série Big Little Lies, vit son album Inscape trôner à l’automne au sommet des ventes québécoises.
Des sonorités jugées dépassées ou élitistes se dépoussièrent ailleurs sur les réseaux sociaux et c’est tant mieux. Bien des ados les trouvent soudain « ben l’fun, ces tounes-là ». Comme au concert de Noël où les avaient entraînés leurs parents… sans leur apprendre à s’y taire pour autant.