On le sentait que ce système, qui enrichit un groupe de plus en plus restreint d’individus au détriment de la masse et génère un peu partout des despotismes, des discriminations, des dérèglements écologiques et des inégalités sociales intolérables, allait finir par éclater.
Le Printemps arabe, le Printemps érable, la crise grecque, la crise des migrants, les mouvements d’indignés, la crise du climat avaient sonné l’alarme.
La révolte des mouvements populistes avait fait craindre le pire, aux États-Unis avec Trump, en France avec Le Pen et Macron, en Italie avec le Mouvement 5 étoiles, en Autriche, en Hongrie, au Danemark, aux Pays-Bas, au Canada avec Sheer et Ford, sans oublier le Brexit au Royaume-Uni. Au Québec, l’inquiétude est venue de la montée des mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, aux prises sur les questions identitaires et l’immigration, le racisme et le racialisme, le nationalisme et le multiculturalisme, les minorités de toutes sortes. La vague de censure culturelle déclenchée par les controverses autour de SLĀV et de Kanata et la crise du #MoiAussi ont mis à l’avant-scène une armée de chevaliers de la différence qui ont alimenté une sorte de dénigrement du Québec et des Québécois (Quebec bashing) de l’intérieur, parfois pire que celui qui nous vient de l’extérieur.
Sous un tout autre angle, la prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale exerce une pression croissante sur le système économique, de plus en plus perçu comme le grand responsable de cette menace qui pèse sur l’espèce humaine.
Mais deux événements majeurs ont fait basculer cette dynamique au cours de l’année 2018. L’élection de la CAQ chez nous et la révolte des gilets jaunes en France.
L’élection de la CAQ
L’élection de la Coalition avenir Québec a renvoyé dos à dos libéraux fédéralistes, péquistes désorientés et solidaires multiculturels, pour redonner la parole aux Québécois ordinaires des régions, des banlieues et des quartiers ouvriers urbains, ces Québécois qui ne sont ni indépendantistes, ni écologistes, ni révolutionnaires, mais qui travaillent fort pour arriver, qui sont fiers d’être Québécois, qui n’acceptent pas de se faire taper dessus par le Canada, l’immigration, les bobos, les chevaliers de la censure, qui refusent que la transition écologique se fasse sur leur dos et qui ne veulent plus continuer à payer pour tout le monde comme les dindons de la farce.
À l’usage, Legault a su se faire aimer, se montrer ouvert et rendre ces Québécois fiers et confiants de nouveau : il a réussi à contourner la contestation. Les trois partis d’opposition ont été réduits pour le moment à pédaler dans le vide. Le Pacte pour la transition écologique, qui s’est donné la mission de nous représenter, est en voie de s’arrimer au gouvernement Legault. Le Québec pousse un grand soupir de soulagement. N’en déplaise aux fins finauds de la gauche éclairée.
Les gilets jaunes
Mais le coup de canon dans le système, ce sont les gilets jaunes qui l’ont tiré. Ils n’ont pas fait la révolution attendue, mais ils l’ont commencée. Ils ont fait une brèche qui ne pourra plus se refermer dans la légitimité du système économique et du pouvoir politique, parce qu’ils ont remis en question leurs fondements de trois façons :
1) en mobilisant tous les gagne-petit à tous les niveaux et partout sur le territoire, avec l’appui de 80 % de la population, ils ont établi la légitimité du peuple face à celle de l’État ;
2) en contestant l’injustice d’une transition écologique qui se fait sur leur dos, ils ont mis au grand jour les inégalités sociales et le détournement fiscal intolérables que génère le système ;
3) en refusant de passer par les mécanismes de représentation reconnus par les élus, les partis politiques et la société civile, en choisissant la démocratie directe, ils ont remis à l’avant-scène le principe de la souveraineté du peuple comme fondement de l’État et ils ont échappé à toute récupération politique.
La révolution des gilets jaunes n’est pas en train de mourir dans l’oeuf, contrairement à ce que beaucoup de politiciens et de médias voudraient croire. Les concessions consenties par Macron mettront sérieusement à mal les budgets de l’État et ses engagements face à l’Union européenne. La concertation promise ne changera pas le rapport de force. En exigeant le référendum d’initiative citoyenne plutôt qu’une élection générale, comme le préconisaient Le Pen et Mélenchon, les gilets jaunes ont gardé l’initiative de la guerre. Ils ont placé Macron en garde à vue comme une marmotte traquée dans son terrier. L’état de démocratie directe n’est pas levé ni oublié : il peut rentrer en action n’importe quand, quand ils le décideront.
L’année s’est donc achevée sur un certain espoir, au Québec du moins. La révolution est un processus : elle fait son chemin envers et contre tout. Elle est bel et bien commencée avec les gilets jaunes. Le peuple, « celui sur qui s’exerce le pouvoir et qui n’a jamais la possibilité de l’exercer » (Onfray), le monde ordinaire, revient à l’avant-scène. Chez nous, la CAQ a rétabli l’équilibre des forces et la confiance chez les Québécois en général. La prise de conscience écologique, ici et ailleurs, progresse et s’ajuste à vive allure. Les astres s’alignent, mais attention à la surchauffe de la planète… et aux explosions imprévisibles.