Comme bien du monde, j’ai bondi à la librairie le jour du lancement en France et au Québec du Sérotonine de Michel Houellebecq. On en trouvait des piles, comme après un prix Goncourt (déjà remporté par l’auteur pour La carte et le territoire). « C’est le succès du jour », lançait le libraire à la rigolade.
Reste qu’au Québec, il a moins la cote que dans l’Hexagone. Chez nous, les gens préfèrent en général des trucs plus hop la vie ! À preuve, nombreux sont-ils ici à refuser de lire Le lambeau, chef-d’œuvre signé Philippe Lançon, retour à la vie d’un survivant de Charlie Hebdo, dont le sujet leurapparaît trop sombre. Dommage !
Pas hilarant non plus, Houellebecq, sauf sur la note cynique. On le fréquente d’un roman à l’autre pour le style et la charge.
Drôle de monument littéraire, qui vient de recevoir la Légion d’honneur des mains d’Emmanuel Macron, tout en tirant à bout portant sur le rêve européen de l’Élysée, saluant le Brexit, le trumpisme, pleurant l’effritement des pouvoirs traditionnels, sans rien offrir de mieux.
« Une civilisation meurt juste par lassitude, écrit-il dans Sérotonine, par dégoût d’elle-même, que pouvait me proposer la social-démocratie évidemment rien, juste une perpétuation du manque, un appel à l’oubli. » Il a raison en plus.
Superstar misanthrope et inconsolable, ce Woody Allen des lettres françaises. Célèbre au point de refuser les entrevues sans perdre de lecteurs : plus de 90 000 exemplaires du roman ont été écoulés en trois jours en son pays. Il s’y fait reprocher des erreurs factuelles, tirs malavisés contre le libre-échange et l’Union européenne. Mais bien fou qui miserait sur la bonne foi d’un provocateur de sa sorte… En bon trublion, il cogne dans le tas, sans filer la dentelle.
Le précédent phénomène Houellebecq, c’était en 2015 avec Soumission, charge anti-islamisme sortie en librairie le jour même des attentats chez Charlie Hebdo, qu’on s’arrachait dans la foulée du massacre. Prophétie ! criaient les uns, qui auraient bien dessiné une auréole autour de sa tronche mal embouchée.
Certains lui collent à nouveau l’étiquette de visionnaire pour ce Sérotonine présageant les révoltes de la France aux gilets jaunes, du moins celle des agriculteurs en jacquerie, ici fermiers normands à l’assaut de barrages policiers.
Houellebecq sied à l’air du temps. Il le hume, exacerbe ses terreurs, met le pied dans la fourmilière, aveugle toutefois aux mouvements desservant ses thèses, comme tout sophiste digne de ce nom. L’ère des #MoiAussi : trop peu pour lui. Il passe son tour, flaire sans doute le danger pour son camp, à l’instar de son narrateur, un conseiller agricole à bout de souffle. Ses coups de griffes misogynes et homophobes semblent relever désormais d’une marque de commerce périmée. On en rigole plus qu’autre chose. Sur ce plan, dépassé, le visionnaire…
Sérotonine est le blues de l’homme blanc d’âge moyen revenu de tout. Comme d’habitude, me direz-vous. En plus tendre. Par sa faille, le livre séduit : cette absolue vulnérabilité des personnages masculins…
Certains types de héros sont, dit-on, floués par des forces extérieures alors que d’autres n’ont qu’eux-mêmes à blâmer. Le narrateur qui a laissé filer le bonheur sans s’en remettre appartient manifestement à la seconde catégorie. Son ami, un aristocrate agriculteur de bonne volonté détruit par le système, s’impose en figure d’antithèse. Beau portrait aussi d’un médecin allumé et bienveillant. Sinon, des figures féminines sublimées ou méprisées, fantasmatiques et inconsistantes. Du Houellebecq tout craché.
En ce septième roman, le narrateur se révèle plus malheureux que jamais. Perdant désenchanté et lucide, la bite sous le bras faute de capacités érectiles, gorgé d’antidépresseurs, mené cette fois jusqu’à son précipice. Comment un prochain livre pourrait-il entraîner son alter ego plus bas ? Que de beaux passages au détour cependant : « Dormir c’était autre chose, nous étions en plein cœur de l’hiver, les journées avaient commencé de rallonger mais la nuit serait encore longue, et au milieu des forêts, elle serait absolue. »
Houellebecq, comparé souvent à Louis-Ferdinand Céline pour son style incisif, lève plutôt son chapeau ici à la profondeur et au raffinement de Marcel Proust et de Thomas Mann. Ce qui ne l’empêche pas de comparer Alphonse de Lamartine à Elvis Presley ; tous deux capables par leur lyrisme de « faire craquer les donzesses ». En démontrant ici par l’absurde le déclin et la chute de son propre machisme impénitent, ne s’avère-t-il pas encore visionnaire ? C’est bien pour dire…
« J’en étais donc au stade où l’homme vieillissant, meurtri et se sentant mortellement atteint, se cherche un gîte pour y terminer sa vie », écrit un Houellebecq rattrapé malgré lui par l’ère des #MoiAussi.