Ceux qui étaient présents à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2014 se souviendront toujours de l’hommage émouvant qui avait été rendu aux victimes de la tuerie de l’École polytechnique 25 ans après le drame.
Ce jour-là, le premier ministre Philippe Couillard s’était engagé à reconstituer le registre des armes à feu, dont les données concernant le Québec avaient été mises sous scellés sur ordre de la Cour fédérale, les préservant ainsi de la destruction projetée par le gouvernement Harper.
D’une certaine façon, le registre, créé au départ à la suite des pressions des survivantes et des familles des victimes de 1989, fait maintenant partie de l’identité québécoise et reflète nos valeurs. De toutes les provinces canadiennes, le Québec est la seule où il a survécu. Partout ailleurs, sa disparition a même été accueillie comme un bon débarras.
Chaque fois qu’il tente timidement de renforcer des mesures de contrôle dont l’utilité devrait pourtant apparaître évidente, Justin Trudeau s’empresse de réitérer qu’il n’est pas question de ressusciter le registre honni.
C’est le 29 janvier 2018 que la promesse de M. Couillard a été officiellement tenue. La nouvelle loi accordait un délai d’un an aux propriétaires d’armes à feu sans restriction pour les faire immatriculer, même si elles étaient déjà enregistrées dans l’ancien registre pancanadien, sous peine d’une amende pouvant aller de 500 $ à 5000 $.
Un an plus tard, c’est très loin d’être chose faite. Les propriétaires d’armes ont boudé massivement le registre. En début de semaine, seulement 317 850 armes avaient été enregistrées sur les 1,6 million qui sont en circulation sur le territoire québécois.
Au début du mois, le collectif PolySeSouvient a rendu public un sondage effectué par la firme Léger entre le 21 et le 26 décembre 2018, selon lequel 78 % des Québécois souhaitent que la loi soit appliquée dès son entrée en vigueur, le 29 janvier prochain, « incluant l’émission d’amendes en cas de non-respect délibéré ».
Le groupe « Tous contre un registre québécois des armes à feu », qui avait appelé au boycottage, estime que le sondage n’est pas fiable, puisqu’il a été commandité par PolySeSouvient et aurait été « fait pour avoir une réponse pour eux ».
Selon son porte-parole, Guy Morin, ses résultats n’en illustrent pas moins « une bataille entre la mentalité urbaine et rurale », dans la mesure où l’appui au registre est nettement plus élevé à Montréal (84 %) qu’en région.
Même si les modalités d’enregistrement sont très simples et qu’il n’y a aucuns frais, bon nombre de chasseurs et d’agriculteurs voient dans le registre une attaque contre leurs propres valeurs et ne voient pas en quoi ils représentent la menace que celui-ci prétend éliminer. Plus qu’une simple incompréhension, il semble y avoir un conflit entre les valeurs de la majorité et celles d’une minorité.
Quand il a dévoilé son cabinet en octobre dernier, le premier ministre François Legault a été très clair : « Il faudra avoir l’adhésion à nos changements de la plus grande partie de la population. On ne fera jamais l’unanimité. D’ailleurs, il est hors de question de reculer devant des groupes de pression ou devant les secousses, les premières petites secousses. »
Il y a un mois, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, semblait pourtant disposée à faire preuve de souplesse envers ceux qui tarderaient à enregistrer leurs armes.
« Il y a des amendes qui sont prévues, oui, pour des personnes qui n’auront pas rempli leurs obligations, mais vous savez, avant la partie répression, moi, je préfère miser sur la partie prévention », expliquait-elle, invitant ses collègues députés à sensibiliser leurs commettants à l’importance d’enregistrer leurs armes.
Pour le moment, il n’est pas question d’assouplissements. En début de semaine, le directeur des communications de Mme Guilbault, Jean-François Del Torchio, a assuré au Soleil que la loi allait bel et bien s’appliquer à compter du 29 janvier. Encore faudrait-il que les contrevenants soient débusqués. Il faudra compter sur la diligence des policiers pour vérifier si une arme est enregistrée ou non. On verra le résultat.
M. Legault a beau assurer que son gouvernement ne se laissera pas influencer par les groupes de pression, bien des opposants au registre résident dans des circonscriptions représentées par la CAQ. À l’Assemblée nationale, sept députés caquistes avaient voté contre sa création. Six d’entre eux y siègent toujours, dont deux ministres, Éric Caire et André Lamontagne.
À l’époque, M. Legault lui-même semblait hésitant. « On a des réserves, entre autres sur les coûts. On se demande si c’est nécessaire de tout recommencer à zéro, de mettre une nouvelle bureaucratie », avait-il déclaré.
Le PLQ, dont l’électorat est concentré dans la région de Montréal, appuie le registre sans réserve. En revanche, le PQ, dont les 10 députés sont maintenant cantonnés en région, réclame plus de flexibilité.
Selon le député de Bonaventure, Sylvain Roy, « il faut rendre le registre acceptable, utilisable et qu’il colle à la réalité des chasseurs ». M. Legault devra dire clairement où se situent ses propres valeurs.