Ce « don » d’enfant qu’elle vous fait à la naissance n’est-il pas un moment éprouvant ?
Ce n’est en aucun cas un don. Michelle se considère comme une super nounou à qui on a confié un embryon qui n’est pas le sien, qu’elle a simplement gardé d’une manière un peu particulière, in utero. Il n’en demeure pas moins qu’à la naissance de Mila, notre première fille, alors que François, mon mari, coupait le cordon ombilical, moi j’ai demandé à Michelle si elle allait bien. Elle pensait que je lui parlais de son état physique et quand elle a compris que je pensais plutôt à son ressenti, à ses émotions, elle m’a regardé avec de grands yeux : « Tu n’as donc pas compris ce qu’on a fait ? Il n’y a pas de lien à défaire. Ce n’est pas mon enfant, c’est le vôtre, que j’ai simplement porté. » La naissance fut un moment de joie et d’amour absolu, la concrétisation de ce long parcours commun, sans aucun déchirement. Ce moment que je raconte se fait néanmoins dans un cadre très précis, la GPA éthique, où chacun sait exactement ce qu’il fait. Dans d’autres cas moins encadrés, dans lesquels l’argent devient le motif principal, ce moment-là peut être plus tabou, on ne parle pas des mêmes histoires. Mais la GPA, aujourd’hui, en France, se fait essentiellement aux États-Unis, dans ce cadre.
Quand avez-vous commencé à raconter leur histoire à vos filles ?
À la première seconde de leur naissance ! J’ai pris ma fille dans les bras, en larmes, et je lui ai tout raconté. Ce furent les premières bases de la vérité, et aujourd’hui elles parlent toutes les deux de leur histoire très facilement, sans aucun tabou, sans lourdeur, tout en ayant conscience que c’est une histoire différente, car il ne s’agit pas de leur faire croire que c’est la norme. Dans leur cœur, tout est clair.
Le titre de votre livre est une question en forme de réponse aux regards critiques…
Ma famille est joyeusement banale. Cette histoire que je raconte, on ne vit pas avec en permanence. On vit surtout avec des petites filles qui vont à la danse, apprennent à lire, jouent avec leurs cousins, sont heureuses dans la vie. Elles ont, certes, une particularité, mais qui ne les définit pas au quotidien. J’ai rencontré beaucoup plus de bienveillance à l’égard de notre histoire que ce que j’imaginais. À partir du moment où les gens voient du bonheur, de l’amour, les a priori tombent. On habite un quartier dit bourgeois, le 7e, que l’on pourrait penser plus intolérant que la moyenne. Eh bien non ! Mes filles sont les stars de la rue, tout le monde les adore : la boulangère, la bouchère, les voisins de l’immeuble, le cafetier… Je pense que la société est bien plus ouverte qu’on veut bien le dire.
Pensez-vous que l’on soit sur le chemin d’un nouveau modèle de famille, plus ouvert ?
Je crois que ce modèle existe déjà. On est loin de la famille telle qu’elle est représentée sur les affiches de la Manif pour tous : un papa, une maman, deux enfants. Les familles monoparentales et recomposées existent depuis longtemps ; il commence à y avoir beaucoup de familles homoparentales, qui ont adopté en tant que célibataires ou qui ont eu recours à la GPA. Dans la réalité, la notion de famille a évolué. Il y a un modèle majoritaire, traditionnel, et c’est très bien comme ça. Et il y a les nouvelles familles, qui n’enlèvent rien à celui-là. C’est une richesse.
Grandir avec deux parents du même sexe ne génère-t-il pas un manque d’altérité ?
Dans un couple du même sexe, l’altérité existe. Chacun a un rôle différent. Souvent, l’un a un rôle plus paternel, l’autre plus maternel. Et des modèles féminins, il y en a partout autour : tantes, marraines, cousines, grands-mères… Si vous voyiez la chambre de mes filles, c’est bien trop rose, ça déborde de poupées, et elles veulent déjà se maquiller ! Elles développent une féminité à travers tous les modèles féminins qui les entourent. Elles ne vivent pas dans un ghetto gay !
Dans votre livre, vous évoquez Pagnol et ces mots de César à son fils : « Le père, c’est celui qui aime. » Quelle est votre définition du parent ?
Le parent, c’est celui qui aime, qui élève au quotidien, qui crée la cellule familiale. J’ai vu des généticiens pour préparer le livre, qui ont affaire à des parents qui viennent les voir parce qu’un enfant est malade. Ils remontent le patrimoine génétique pour essayer de trouver l’origine du gène défectueux, et, dans 9,3 % des cas, ils doivent chercher hors de l’arbre généalogique « officiel ». Pour être clair, quasiment un enfant sur dix n’a pas le père que l’on croit ! Cela n’enlève rien au fait que le père est celui qui élève l’enfant, peu importe le lien biologique, qui n’est pas essentiel. De même, il ne viendrait à l’idée de personne de dire que les parents des enfants adoptés ne sont pas ceux qui les élèvent mais ceux qui les ont conçus.
À quel moment êtes-vous devenu père ?
La gestation m’a conduit vers le fait de me sentir papa, mais cela a été une évidence au moment où Mila est née. J’avais déjà changé pour en arriver là, et, aujourd’hui, c’est ce qui me définit. Je suis d’abord père, et je suis le reste après. Je n’avais pas soupçonné cet amour absolu. Cet amour-là, l’amour filial, me submerge. Comme tous les parents.
« Qu’est-ce qu’elle a ma famille ? », de Marc-Olivier Fogiel, Grasset.