La crise au Venezuela, conflit social, économique et politique aux ressorts avant tout internes, vire aujourd’hui à la crise internationale. Elle ramène des relents de guerre froide en plein XXIe siècle.
Les États-Unis menacent le régime « officiel » de Nicolás Maduro et reconnaissent un jeune opposant, Juan Guaidó, qui s’est autodéclaré président à sa place. Avec un sens de la nuance qu’on leur connaît bien, ils somment brutalement le reste du monde de s’aligner : « Vous devez choisir votre camp », dit le secrétaire d’État, Mike Pompeo.
La Chine et surtout la Russie – et avec eux l’Iran, la Turquie… – se solidarisent avec le régime aux abois de Caracas, qu’ils considèrent toujours comme étant légitime. Un régime que Pékin et Moscou sauvent de la faillite, depuis des années, à coups de dizaines de milliards de dollars en prêts, dons et autres rééchelonnements de dettes.
Vladimir Poutine se déclare prêt à soutenir Maduro et avertit contre une « intervention militaire américaine », de plus en plus possible selon lui.
En Amérique latine, une majorité de gouvernements appuient Guaidó (avec les exceptions de Cuba, du Mexique, de la Bolivie, du Nicaragua…), tandis que l’Europe, fidèle à elle-même, temporise et n’arrive pas à parler d’une seule voix. Alors que Washington et Ottawa reconnaissent Guaidó, les Européens demandent des élections anticipées et préconisent toujours un dialogue entre le pouvoir et l’opposition.
L’internationalisation de la crise vénézuélienne est potentiellement tragique, mais était sans doute devenue inévitable, devant une impasse politique interne sur fond de catastrophe humanitaire.
Pourtant, cette crise est, à la base, fondamentalement sociale, politique, vénézuélienne… avant d’être diplomatique ou déterminée par des « influences étrangères ».
Malgré les différences importantes, en matière d’habileté politique, entre le génie d’un Hugo Chávez et la médiocrité d’un Nicolás Maduro, cette crise est la phase terminale du « socialisme du XXIe siècle », variante singulière du capitalisme d’État autoritaire, avec une véritable mafia au pouvoir. Un régime instauré par le premier et poursuivi par le second… mais c’est le même régime.
Les potentialités dictatoriales de Chávez – ami des Castro, Ahmadinejad, Bachar al-Assad – étaient toujours là. Mais le personnage avait pour lui une conjoncture économique exceptionnelle (le pétrole à son plus haut historique lui a permis pendant des années de « piger dans la caisse », à coups de dizaines de milliards, sans contre-pouvoirs) et un charisme hors normes.
Ces deux facteurs lui ont permis, entre 1998 et 2013, d’aller régulièrement chercher, sans tricher aux urnes, entre 50 et 55 % du suffrage populaire.
Aujourd’hui, ce régime ne vaut même plus 20 % en matière d’assises réelles. Mercredi dernier, les quartiers populaires (Petare, Catia, 23 de Enero…), bastions chavistes depuis les années 1990, sont descendus en masse sur Caracas pour se joindre à la foule protestataire des classes moyennes : du jamais vu !
Résultat, pour se maintenir aujourd’hui, le régime doit sortir les revolvers, en plus de ses manipulations des quatre dernières années : création en 2017 d’une seconde chambre nommée (pour contourner l’Assemblée nationale élue, conquise par l’opposition en 2015), interdiction des partis et des leaders hostiles, emprisonnement ou exil d’opposants, élections « gagnées » à coup d’intimidations et de décomptes arrangés, chantage aux carnets de rationnement, etc.
Après ce coup de force d’une opposition sortie de sa torpeur et de ses divisions, deux questions fondamentales… Que fera l’armée ? Que fera l’international ?
Une intervention des États-Unis serait une tragédie. Alors que l’influence américaine est en déclin marqué, et que le régime actuel à Washington serait plutôt « anti-interventionniste », elle ramènerait les pires souvenirs impérialistes du XXe siècle…
Mais aussi, elle donnerait des excuses à ceux qui veulent éviter le procès nécessaire du chavisme, et toujours tout expliquer par les « ficelles de l’étranger ». Ce procès doit pouvoir être mené par les Vénézuéliens, sans ingérences extérieures.
Quant à l’armée, elle a réaffirmé son soutien au régime. Mais d’une façon qui aurait pu être plus ferme, et plus immédiate, après les grandes manifestations du 23 janvier. Les craquements dans la cohésion du pouvoir officiel à Caracas restent une hypothèse. Ils pourraient monter, de bas en haut dans la hiérarchie militaire : s’il y a sortie de crise, elle passera sans doute par là.