Parce qu’elles en sont réduites à manger le midi sans pouvoir s’arrêter, on les appelle les midinettes. Ces femmes harassées par le travail quotidien aux usines de couture gagnent à peine de quoi vivre. Veulent-elles s’insurger contre leur condition qu’il leur est soudain interdit de s’unir sous menace de répression. En 1937, Léa Roback fait front avec elles.
Quatre ans plus tôt, après s’être d’abord occupée elle aussi des pitoyables conditions des ouvrières du textile, une jeune enseignante, Jeanne Corbin, s’intéresse à l’exploitation éhontée des bûcherons en Abitibi. On va l’arrêter, comme plusieurs de ces ouvriers du froid dont le labeur chauffe pourtant bien des comptes en banque. Procès expéditif : trois mois de prison pour Jeanne.
En 1936, le docteur Bethune, appuyé par nombre d’infirmières, réclame l’accès pour tous aux soins de santé. Dans certains quartiers montréalais, on meurt à l’année comme de simples mouches à l’automne. Dans l’est de la ville, avant la Grande Guerre, le taux de mortalité infantile se compare à celui de Calcutta en Inde. Remarquez qu’encore aujourd’hui, dans un quartier comme Hochelaga-Maisonneuve, on crève en moyenne dix ans plus tôt que dans les parties les plus riches de la ville.
Parmi bien d’autres, Bethune, Corbin et Roback se disaient communistes. Grand bourgeois pourtant, Jacques Parizeau affirmera plus d’une fois qu’il l’était lui aussi. Parizeau dira même avoir travaillé, de loin en loin, pour le seul candidat communiste jamais élu au Parlement canadien : Fred Rose.
Avoir du coeur, dans une société qui souvent en manquait, cela conduisait forcément à se déclarer communiste, dira Parizeau jusqu’à la fin de sa vie, forçant même un peu la note, comme le remarquera son biographe.
Communiste, le Dr Jacques Ferron, peut-être notre plus grand écrivain, affirmera l’être lui aussi, selon le même raisonnement que Parizeau. C’était au temps où, son portuna sous le bras, Ferron soignait les dépossédés de la Gaspésie, peu de temps avant de venir s’occuper de ceux de Ville Jacques-Cartier, bidonville aujourd’hui oublié.
Ce n’est pas au nom des principes du communisme, mais de leurs propres principes humanistes, que ces gens s’indignaient du sort fait à leurs semblables. La vie n’épouse pas d’abord une idéologie.
Devant une société qui s’est employée pendant deux siècles à briser toutes les velléités d’auto-émancipation de ses citoyens, il n’est pas étonnant que, même au Québec, quelques esprits sensibles aient trouvé dans les écrits animés de Marx une porte de sortie pour prendre l’air et, du coup, en offrir à une société qui en manquait.
Marx avait-il tort de constater, presque avant tout le monde, que la « croissance », ce supposé dieu céleste vers lequel toutes les têtes continuent d’être béatement tournées, n’est qu’un renard qui, après avoir tout mangé, même pris à son propre piège, va jusqu’à se ronger la patte pour continuer à marcher en clopinant ?
Depuis des semaines, éditorialistes, chroniqueurs et politiques à gages chantent pourtant en choeur les dangers du marxisme en un long vol plané, dans un surinvestissement affectif qui nous replonge dans les années 1950, au beau milieu de la guerre froide. On se croirait presque, par moments, revenu au temps de la Loi du cadenas. Cette mesure, votée par le gouvernement Duplessis en 1937, permettait de faire fermer puis condamner un lieu, sur la base de critères très diffus, parce que l’on supposait qu’il y flottait des pensées politiques jugées trop à gauche. La loi dut être combattue jusque devant la Cour suprême avant d’être annulée en 1957.
En matière de culture politique, nous revenons de loin en matière de paranoïa. En octobre 1970, au temps des arrestations massives que permit la Loi des mesures de guerre avec la levée de l’habeas corpus, des policiers saisirent des livres sur le cubisme, persuadés qu’il y avait là un lien avec l’univers politique de Cuba…
Se faire traiter de marxiste aujourd’hui, c’est être dévalué comme sujet, à l’égal des régimes qui se prétendaient tels, dans le grand dédain général que les cadres de notre société portent désormais sur tout ce qui dépasse l’horizon limité de cette fraternité du chacun pour soi.
Mais des accusations de marxisme, n’est-ce pas un peu fort de café dans une société plus lisse que jamais, habituée de tout consommer, même du côté des idées, en version décaféinée, light, sans sel, sans goût, ni saveur ?
Sur les canons de bronze du roi de France, on trouvait gravée une maxime latine, Ultima ratio regum, que l’on peut traduire par « le dernier argument des rois ». Être traité de communiste, peut-être est-ce là désormais un argument ultime pour ceux qui n’en ont plus.
Comme ingrédient fondamental à son élection, François Mitterrand avait été bien avisé de constater que les élans à gauche n’avaient pas à craindre de trébucher sur le mot « communisme ».
Il faudra se demander, après les élections, comment le Parti québécois et Québec solidaire, avec tant d’éléments convergents, en sont arrivés à se dissocier au point d’en venir à s’accuser à coup d’abstractions, au point de se mettre à jongler l’un et l’autre avec des enclumes au-dessus de la tête des électeurs.