Le premier ministre François Legault a qualifié sa première rencontre avec son homologue ontarien, Doug Ford, de « beau succès ». D’une déconcertante mollesse, le caquiste estime que la défense du fait français au Canada, qui a pourtant son importance pour les Québécois, est une broutille qui ne saurait nuire aux relations entre le Québec et l’Ontario. Après la gifle infligée aux Franco-Ontariens, une minorité qui n’est pas particulièrement choyée, François Legault place la business au-dessus de tout.
En point de presse après la rencontre lundi, François Legault a dit qu’il avait fait savoir à Doug Ford qu’il était « déçu » de ses décisions d’abolir le poste de Commissaire aux services en français et d’abandonner le projet de l’Université de l’Ontario français, qui devait ouvrir ses portes en 2020 à Toronto. Déçu et impuissant, mais surtout pressé de passer aux affaires qui comptent.
Tout de même, le premier ministre a souligné ne pas avoir aimé qu’on compare les Franco-Ontariens, issus d’« un des deux peuples fondateurs », avec des Ontariens d’autres origines. Comme l’a rapporté le quotidien Ottawa Citizen, Doug Ford a affirmé qu’il y avait peut-être 600 000 Franco-Ontariens, mais qu’il y avait aussi 600 000 « Ontariens chinois » et 600 000 Ontariens d’origine italienne et que la province ne pouvait plaire à tout le monde. Devant une telle conception bêtement communautariste, on comprend que le statut des Canadiens français en Ontario est précaire.
Mais voilà, François Legault était avant tout « très heureux » lundi de sa rencontre avec Doug Ford. « Tous les deux, nous sommes des gens d’affaires », s’est-il réjoui. Il est quelque peu inquiétant de constater que l’actuel premier ministre du Québec se découvre autant d’affinités avec un homme obtus, qui « ne brille ni par le goût ni par l’esprit », pour reprendre les mots de Brassens, et qui, surtout, affiche un tel mépris envers la minorité francophone.
Car ce qui saute aux yeux dans cette affaire, c’est la différence de traitement de la minorité de langue anglaise au Québec — une minorité qui fait paradoxalement partie de la majorité au Canada — et celui de la minorité de langue française en Ontario, une minorité « historique » au même titre que les Anglo-Québécois. À juste titre, François Legault a rappelé à Doug Ford que notre minorité historique disposait de trois universités anglaises, sans compter un centre universitaire de santé de calibre mondial.
Évidemment, rien de tel en Ontario. Depuis les années 1970, les Franco-Ontariens caressaient l’ambition d’avoir leur université française, qu’ils auraient contrôlée, mais voilà que, si près du but, on leur tire le tapis sous les pieds.
Contrairement à l’hôpital Montfort à la fin des années 1990, que le gouvernement conservateur de Mike Harris voulait fermer pour des « raisons budgétaires », lui aussi, l’Université de l’Ontario français n’était qu’un projet. Si les tribunaux ont empêché la fermeture du seul hôpital universitaire francophone en Ontario, les contestations judiciaires ont peu de chances de réussir dans le cas du projet d’université.
Or si le maintien d’un hôpital francophone était essentiel pour les Franco-Ontariens, la fondation d’une université française à Toronto, où convergent de plus en plus de francophones, est tout aussi importante, sinon davantage. Le Québec ne peut rester indifférent.
Certes, le gouvernement québécois ne peut contester le droit de l’Ontario de gérer comme elle l’entend son réseau d’universités sans remettre en question ses propres prérogatives. D’ailleurs, dans des causes portant sur l’ouverture d’écoles françaises dans les autres provinces, le Québec, qui défendait ses compétences constitutionnelles, s’est souvent retrouvé à s’opposer à des parents francophones.
Il y a 20 ans, pour l’hôpital Montfort, Lucien Bouchard, sans couper les ponts avec le gouvernement ontarien, avait tout de même tenté de convaincre Mike Harris de revenir sur sa décision. Puis, son gouvernement, sous l’impulsion de Bernard Landry, alors ministre des Finances, avait versé 300 000 $ au mouvement S.O.S. Montfort.
Est-ce que l’Université de Montréal ou l’Université Laval pourrait ouvrir un campus à Toronto avec l’aide du gouvernement québécois, comme le suggèrent dans nos pages deux de nos lecteurs ? C’est à envisager. Les Franco-Ontariens méritent d’obtenir leur université française à Toronto et ils ont besoin de l’appui des Québécois.
Entre-temps, François Legault devrait au moins avoir la décence d’éviter de faire copain-copain avec le fossoyeur de l’Université de l’Ontario français. Il devrait se rappeler qu’au-delà de la business, il y a des principes qu’un premier ministre digne de la fonction doit défendre.