L’état d’esprit des patients n’aurait aucune influence sur la progression du cancer, dit la science. Mais la pensée peut agir sur la qualité de vie, quelle qu’en soit la durée.
Dans son bureau de l’hôpital régional de Saint-Jérôme, l’hémato-oncologue Véronique Poulin annonce fréquemment de très mauvaises nouvelles à ses patients. « Lorsque je leur apprends que leur maladie progresse, les gens me disent fréquemment : “Je garde le moral.” »
La Dre Poulin leur répond toujours qu’il serait normal de perdre le moral avec ce qu’elle vient de leur annoncer. « Quand j’ouvre cette porte-là, les patients se mettent presque tout le temps à pleurer, parce qu’ils ne se sentent pas autorisés autrement à vivre ces émotions-là. La pression de la pensée positive, elle étouffe les gens. »
Contrairement à une croyance largement répandue, la pensée positive n’influence d’aucune manière les chances de guérison ou de survie face à un cancer, estime la chercheuse et psychologue Josée Savard dans son livre Faire face au cancer. Avec la pensée réaliste (Flammarion Québec, 2010).
Un constat qu’appuie le Dr Philippe Southier, gynéco-oncologue du CHUM, qui n’hésite toutefois pas à dire que l’aspect psychologique « ne change pas la quantité de vie, mais peut-être la qualité de la vie ». « Le discours de la pensée positive à outrance n’est pas mieux. Il faut avoir un regard ancré dans la réalité, car c’est aussi terrible de se dire “tout va bien aller” que “je suis foutu”. »
Constats scientifiques
Une étude de chercheurs du Département de psychiatrie de l’École de médecine de l’Université de Pennsylvanie publiée en 2010 dans la revue Annals of Behavioral Medicine abondait dans le même sens, qualifiant de mauvaise science (« bad science, exaggerated claims, and unproven medicine ») les thèses promouvant une pensée positive agissant sur la maladie.
« Nous exhortons les tenants de la psychologie positive à s’engager dans une psychologie positive fondée sur des preuves scientifiques plutôt que sur de la pensée magique », concluait-on.
D’autres chercheurs ont tenté de mesurer scientifiquement l’impact de facteurs psychologiques sur des patients atteints de cancer. En 2015, une étude publiée dans la revue Personality and Social Psychology avançait que l’usage en médecine des « métaphores belliqueuses » à l’égard du cancer pourrait avoir une influence sur la compréhension de la maladie et réduire certains comportements « incitant [les patients] à la prévention sans en accroître d’autres ». Un impact qu’ils jugent « potentiellement nuisible à la santé publique. »
Si elle n’agit pas sur la progression de la maladie, la perception et la signification données au cancer pourraient se répercuter sur la santé psychologique des patients, selon une autre étude publiée dans Cancer Nursing en 2003. Cette enquête menée auprès de plus de 1000 Canadiennes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein a observé que celles qui associaient leur cancer à un défi (57 %) ou à quelque chose leur donnant du mérite (27 %) étaient moins susceptibles de souffrir d’anxiété ou de dépression dans les années suivantes que celles l’assimilant à « un ennemi » (7,8 %) ou à une « perte irréparable » (3,9 %).
Lunettes noires ou roses ?
N’est-il pas effectivement préférable de prendre la vie du bon côté, même si cela ne semble pas stopper l’avancée de la maladie ? Entre lunettes noires et lunettes roses, la Dre Josée Savard suggère d’enfiler des lunettes claires. Sans pour autant tuer l’espoir fleurissant en soi.
« Il suffit […] de voir la réalité telle qu’elle est, sans en amplifier les aspects négatifs ni adopter un optimisme aveugle. Nous nommerons cela l’optimisme réaliste, qui consiste à percevoir les risques réels d’une situation et les différents scénarios possibles », écrit celle dont l’approche s’inspire de la thérapie cognitive comportementale.
Quant aux nombreux témoignages de miraculés, la chercheuse invite les malades à ne pas tirer de conclusions à partir d’un seul cas inspirant. « Ce qui est pernicieux avec les livres de psychologie populaire ou holistique, c’est qu’ils vont présenter des cas isolés. »
Des malades grognons, trimballant à l’hôpital un air exécrable ? « J’en ai vu plusieurs s’en sortir, comme j’ai vu plein de personnes positives décéder, raconte-t-elle. Mais ce n’est pas scientifique, ça. »
Mieux vaut ne pas lire dans le déroulement imprévu d’une maladie la preuve de quoi que ce soit. « Les personnes atteintes de cancer peuvent défier les pronostics et survivre beaucoup plus longtemps que ce que les oncologues ont prédit, souligne la Dre Savard. Or, ce n’est pas parce que la personne a survécu plus longtemps, et qu’on ne sait pas pourquoi d’un point de vue médical, que c’est nécessairement dû à son attitude positive. »
La pensée positive a-t-elle un impact sur le cancer ?
Entre lunettes noires et lunettes roses, la Dre Josée Savard suggère d’enfiler des lunettes claires.
« Il suffit […] de voir la réalité telle qu’elle est, sans en amplifier les aspects négatifs ni adopter un optimisme aveugle. Nous nommerons cela l’optimisme réaliste » Dre Josée Savard