Depuis l’accession de Donald Trump à la présidence, j’ai juré de ne plus jamais faire de pronostics électoraux. Non, je ne fais pas partie de cette classe d’élite de journalistes et de sondeurs qui s’est trompée sur la probabilité d’une victoire pour Hillary Clinton. Au contraire, j’avais prévu la défaite de cette dernière le 21 septembre 2015, à voix haute dans une émission du réseau de télévision MSNBC.
Cependant, je pensais que Mme Clinton serait plutôt battue par Jeb Bush, que je considérais comme le candidat présomptif du Parti républicain. Une bataille entre deux dynasties se conformait à ma thèse d’un système dominé par une oligarchie imperméable. Impossible que Trump défonce les murs du château fort de la famille Bush, ou que Bernie Sanders renverse l’emprise clientéliste du couple Clinton. En fin de compte, la machine républicaine était moins puissante que la machine démocrate, qui a craché Sanders comme une arête.
Mais me voilà détrompé sur Trump-Clinton, bien que je connaisse de près la grande colère anti-Clinton parmi les ouvriers « cols bleus » et les petits commerçants du Midwest. J’avais bien compris, après 18 ans de reportages, à quel point Trump, avec sa rhétorique anti-Chine et anti-ALENA, avait des chances contre une Clinton si liée aux accords de « libre-échange » promulgués par son mari et le président Obama.
L’incroyable percée de Trump, le vulgaire escroc, suivait sa propre logique pour des millions de gens frustrés par des politiciens qui ne cessaient de prôner « la nouvelle économie » et « les emplois de l’avenir ». Pour eux, les villes dévastées par la délocalisation industrielle étaient d’actualité, donc Trump a pu les entraîner dans sa fable de richesse instantanée.
Un bouffon bruyant
Toutefois, je croyais à l’idée du républicain respectable et bourgeois qui servirait de garde-fou contre Trump. J’ai grandi avec ces gens-là dans les banlieues nord de Chicago longeant le lac Michigan. Protestants et conservateurs, les républicains de mon enfance affichaient leur fierté non seulement pour leur réussite professionnelle et dans les affaires, mais aussi pour leur probité, leur engagement civique et leur comportement moral.
Ils étaient ceux qui auraient refusé à un Trump l’entrée dans leurs clubs privés. Un tel bouffon bruyant, surtout marié pour la troisième fois avec une étrangère au passé douteux, n’est pas le membre idéal à présenter à son épouse dans le salon, sans parler du bar après un match de golf avec de potentiels clients. Trump rachète et crée des clubs « prestigieux », comme Mar-a-Lago, justement pour se venger de ce genre de républicain huppé qui le traitait d’arriviste grossier et de corrompu.
Lorsque je suis arrivé dans les studios de France Inter et sur les plateaux France Télévisions dans la soirée du 9 novembre 2016, j’étais convaincu que les « gens bien » du Parti républicain voteraient en grand nombre pour Hillary Clinton par simple dégoût pour Donald Trump. Après tout, la jeune Hillary, fille d’un homme d’affaires, était l’une des leurs à l’origine : originaire d’une banlieue nord-ouest de Chicago, la famille Rodham avait suivi en 1964 l’étendard du puriste de droite Barry Goldwater jusqu’au bout de sa campagne désastreuse contre le démocrate Lyndon Johnson.
On pouvait croire que, sous ses paroles « libérales » et « féministes » battait le coeur d’une candidate à l’âme conservatrice. Une candidate qui a d’ailleurs toujours favorisé la politique de centre droit de son mari, dont la dérégulation de Wall Street et le soutien pour de grandes entreprises comme Wal-Mart.
Regarder Fahrenheit 11/9
Bigre, j’ai eu tort — et plus qu’une fois — devant les auditoires français. Selon les sondages cités par The New York Times, seulement 7 % des républicains autoproclamés ont voté pour Clinton. Lorsque la Caroline du Nord a basculé pour Trump, je suis tombé de haut. Les républicains n’allaient pas sauver la nation : mes « banlieusards » d’enfance, aujourd’hui adultes, m’avaient trahi.
En tout cas, je ne recommande pas de parier sur les élections de mi-mandat en se basant sur les déclarations des journalistes ou des sondeurs ni sur les gros titres d’attentats, d’assassinats ou de caravanes de désespérés. Mieux vaut regarder Fahrenheit 11/9, le dernier film de Michael Moore. Là, on voit les politiciens sous leur jour le plus cynique et on constate jusqu’où ils vont pour duper le peuple.
Sauf que, dans le récit de Moore, pour la plupart anti-Trump, l’arnaque la plus étonnante est commise par Barack Obama, en 2016, lors de la crise de l’eau contaminée à Flint, au Michigan. Il s’agit d’une mascarade, où le président affiche sa prétendue solidarité avec les victimes en buvant une petite gorgée de l’eau du robinet contaminée. On voit bien dans le gros plan qu’Obama n’avale pas. Les riverains démunis de Flint étaient terriblement déçus, ainsi que par le manque d’aide fédérale, ce qui a gravement fait baisser le taux de participation démocrate dans un État clé.
Soyez prudents dans vos paris d’ici mardi. Les gens ordinaires ne sont pas assez bêtes pour miser sur un seul numéro.
John R. MacArthur est éditeur de Harper’s Magazine. Sa chronique revient au début de chaque mois.