C’est la coutume de faire des vœux pour l’année qui s’annonce, tout en sentant le besoin de les étirer au-delà du terme. Tant de vastes chantiers socioculturels sont en cours. Ça prendra plus de douze mois pour les voir debout. En attendant, on se souhaite des œuvres brillantes et porteuses à se mettre sous la dent. Quelques vœux aussi pour regarder au loin du haut de la tour de guet.
Sortir de ses ornières
On aurait sans doute intérêt à tirer des leçons des combats passés, plutôt que de s’ancrer dans des positions inébranlables. Se contenter de hurler à la censure ou d’appuyer à l’aveugle les revendications d’appropriation culturelle quand des œuvres artistiques sont prises entre deux feux, c’est perdre une occasion de s’ouvrir l’esprit. Des arguments valables sont parfois brandis par chaque camp, ainsi avec SLĀV et Kanata. On peut déplorer l’arrêt estival de ces spectacles sans se montrer sourds aux protestations des populations brimées et peu consultées, dont l’histoire a toujours été racontée par les descendants des vainqueurs, fussent-ils des créateurs de bonne foi.
Il y aura d’autres cas problèmes. Espérons que les maîtres d’œuvre s’inspireront de ces turbulences pour nourrir des réflexions créatrices.
En corollaire, on invite les Autochtones à créer davantage de pièces et de films inspirés de leur culture, comme on conseille au public d’aller les voir, même s’ils ne sont pas portés par des vedettes du théâtre ou du cinéma, seules rassembleuses, hélas !
Mieux vaut s’armer de bon sens pour distinguer quand le couperet tombe pour des motifs vraiment absurdes. Souvent la machine révisionniste édulcore des œuvres du passé pour les réécrire et les faire coïncider au goût du jour, en égarant toute perspective historique. Une vigilance éclairée s’imposera à nous de plus en plus. Autant apprendre à jouer de vitesse pour contrer les exécutions lapidaires des médias sociaux et des bien-pensants trop zélés.
Écouter les voix féminines
Les femmes ont été brimées et le couvercle de leur marmite a sauté. L’appareil judiciaire est lent à appuyer leurs prises de parole, mais l’ouragan #MeToo ne cessera pas de chambouler le paysage pour le meilleur (la libération des témoignages) et pour le pire (la vindicte populaire). On souhaite en parallèle aux artistes féminines de prendre massivement la direction d’œuvres fines et percutantes, afin d’ouvrir le public à des visions du monde hors des moules.
Trop de regards masculins ont transformé les femmes en objets à pleins films et spectacles, pour mieux les contrôler. L’heure est venue de proposer à tous les vents d’autres modèles, moins violents et dominateurs que ceux de l’imagerie traditionnelle aux codes de virilité souvent aussi toxiques qu’inconscients de l’être.
Offrir un meilleur accès à nos scènes et écrans aux comédiens et artistes de la diversité
On se drape dans la loi 101, fiers d’offrir aux enfants venus d’ailleurs un enseignement en français. Faut-il vraiment les abandonner par la suite à leur sort en les renvoyant de facto dans le giron anglophone ? Ni logique, ni efficace, ni généreux, comme attitude.
Des grains de sable enrayent la machine. Ne faudrait-il pas tendre les bras pour inviter tous les citoyens québécois au même bal, en envoyant du coup un signal d’ouverture ? Le monde artistique est la première vitrine des tiraillements de société. Ça saute aux yeux quand la courtepointe de famille y est tissée trop serré. Ça fait honte aussi.
Mieux connaître et mieux diffuser le passé
Cesser d’envoyer à l’arrière des consciences les épisodes jugés peu glorieux de la trajectoire collective — la Conquête britannique et la Grande Noirceur, entre autres — aiderait à se prendre en main en connaissance de cause. Faute de saisir sur quels socles, social, politique et religieux, le Québec s’est bâti, comment reconnaître leurs séquelles dans l’inconscient collectif — sexisme, sentiment d’infériorité, repli identitaire, ignorance, peur de l’autre, anti-intellectualisme — perpétuées sur d’anciennes défaites mal digérées ?
Comment, par ailleurs, intéresser les générations montantes et les nouveaux venus à un patrimoine culturel aussi mal connu et mal aimé que le nôtre, folklore y compris ? On se souhaite des œuvres de réconciliation nationale rayonnantes, susceptibles de briser trop de parois protectrices érigées au fil de l’histoire pour survivre, quoique mal adaptées au monde d’aujourd’hui.
Et festoyer malgré tout
Danser en rond pendant le temps des Fêtes en oubliant quelques jours, champagne aidant, que l’Apocalypse menace de balayer nos belles résolutions et nos vœux ardents avec des enjeux de survivance qui nous donneront le mal de bloc un jour. Plus tard. Demain, après-demain. Nooon ! Pas déjà aujourd’hui…