On verra bientôt si François Legault était sérieux quand il a promis d’être « rassembleur ». Peu importe que le dossier de la laïcité ait été rouvert de façon préméditée ou par inadvertance, il faudra maintenant procéder rapidement.
Alors que le chef de la CAQ avait été talonné sur le sort réservé aux candidats à l’immigration qui échoueraient au « test des valeurs » ou à l’examen de français, il n’avait pas eu à expliquer ce qu’il adviendrait des représentants de l’État en position d’autorité qui persisteraient à porter des signes religieux.
Durant la campagne électorale, c’est comme si les partis s’étaient entendus pour éviter le marécage dans lequel ils s’étaient embourbés à tour de rôle au cours de la dernière décennie, y entraînant l’ensemble de la société québécoise. La récente élection offre l’occasion d’un nouveau départ.
Un des porte-parole de la CAQ durant la période de transition, Simon Jolin-Barrette, qui héritera peut-être du dossier de façon permanente, a indiqué qu’une « clause grand-père » qui protégerait les droits acquis pourrait être incluse dans le futur projet de loi.
Il n’en demeure pas moins qu’en étendant l’interdiction du port de signes religieux aux enseignants, le nouveau gouvernement Legault s’éloignerait sensiblement du « consensus » autour de la recommandation de la commission Bouchard, qui la limitait aux agents de l’État exerçant un « pouvoir de coercition » : juges, procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, à l’exclusion des enseignants.
« Bien vivre ensemble dans une société diversifiée exige que l’on apprenne à trouver normal un éventail de différences identitaires », expliquait-on dans le rapport. D’ailleurs, s’ils ont indéniablement autorité sur leurs élèves, les enseignants ne sont pas des représentants de l’État.
Contrairement au gouvernement Marois, qui n’a pas su faire les compromis qu’imposait son statut minoritaire, celui de François Legault pourrait très bien utiliser sa majorité parlementaire pour imposer ses vues.
Sous peine de replonger dans le marécage et de s’empoisonner la vie durant tout son mandat, M. Legault a cependant intérêt à viser le plus large appui possible, même s’il est illusoire d’espérer l’unanimité.
Un jour ou l’autre, il lui faudra sans doute avoir recours à la disposition de dérogation pour mettre la nouvelle loi à l’abri des contestations judiciaires. Cette disposition doit cependant être renouvelée tous les cinq ans. Plus l’appui à la loi sera fort, plus un prochain gouvernement hésitera à ne pas reconduire celle-ci. On saurait gré à M. Legault de ne pas programmer un nouveau psychodrame.
Si le PLQ est sérieux dans son désir de renouvellement, le départ de Philippe Couillard lui offre l’occasion de revoir sa position sur les signes religieux. D’entrée de jeu, le premier ministre sortant avait décrété que la recommandation de la commission Bouchard-Taylor constituait une violation des droits fondamentaux, ce qui a puissamment contribué à déconnecter son parti de la majorité francophone.
Il n’est pas trop tôt pour amorcer un rapprochement. Même assorti d’une « clause grand-père », un projet de loi incluant les enseignants ne trouvera sans doute pas grâce aux yeux du PLQ, mais en se ralliant au rapport Bouchard-Taylor, il donnera au moins le signal qu’il n’est plus insensible au besoin d’affirmation identitaire des francophones.
Le départ de Jean-François Lisée permettra aussi au PQ de se repositionner. Il y a un an, le chef péquiste s’était heurté à une vive opposition au sein de son propre caucus quand il avait voulu présenter un projet de loi qui étendrait l’interdiction du port de signes religieux non seulement aux enseignants, mais aussi aux éducatrices en garderie. M. Lisée ouvrait également la porte à l’interdiction du visage couvert dans tout l’espace public.
« J’ai constaté qu’il n’y avait pas un consensus assez large pour faire ce choix politique maintenant », avait-il déclaré. Ce choix serait encore moins avisé aujourd’hui. Depuis la charte des valeurs de 2013, les positions successives du PQ ont largement contribué à l’échec du rapprochement avec Québec solidaire. Une reprise des discussions, dont dépend l’avenir du mouvement souverainiste, passera nécessairement par un certain assouplissement.
Le programme officiel de QS prévoit toujours que tous les agent(e)s de l’État sans exception peuvent porter des signes religieux, à la condition de ne pas faire de prosélytisme. À l’Assemblée nationale, les députés solidaires ont cependant appuyé une motion présentée par la CAQ qui demandait qu’ils soient interdits aux juges, aux procureurs, aux policiers et aux gardiens de prison.
Il y a là une contradiction qu’il faudra bien résoudre. Durant la campagne électorale, les porte-parole de QS ont expliqué qu’il fallait consulter la plateforme électorale plutôt que le programme pour savoir ce qui guidera le parti durant le prochain mandat. Le problème est que la plateforme est muette sur la question des signes religieux.
Le départ de Philippe Couillard offre au PLQ l’occasion de revoir sa position sur les signes religieux.